11 | Cœur camouflé

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🩰 ANABELLA 🩰
Paris.

— Alors, ça veut dire que tu as accepté ? s'exclame Malo en me sautant dessus lorsque je sors de la salle des professeurs. Qu'est-ce que tu vas faire du coup ? En quoi ça consiste ? Les termes ?

Mon ami me fixe, comme si le simple fait de détourner le regard l'empêchait d'entendre la réponse. Je referme la porte derrière moi, le pousse pour que je puisse passer et ronchonne.

— Malo deux minutes, je viens de sortir.

N'y pense pas. N'y pense pas. N'y pense pas.

Je soupire, le cœur encore mouvementé par tous les changements qui vont arriver dans ma vie prochainement. Je viens tout juste d'avoir une discussion des plus sérieuses avec madame Robinson, les autres maîtres et le directeur artistique concernant mon emploi du temps aménagé et bordel, je sens que je ne vais pas tenir cette nouvelle année. Je resserre mon sac de danse contre mon épaule et détache, d'un geste las, mes cheveux. Passant les mains dans mon cuir chevelu pour détendre les tensions et les irritations dues à mon chignon sophistiqué, je ferme les yeux.

— J'ai accepté, oui, lâché-je comme si le simple fait de le dire à voix haute me dégoutait.

Et je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas. C'est vrai qu'hier, dans le feu de l'action et avec mon envie d'être sur un même pied d'égalité avec Devon, j'ai accepté et signé le contrat. Maintenant avec le recul, j'ai l'impression d'avoir fait une grosse gaffe. Avec lui, tout est une question de provocation, d'explosion, de haine, de domination. Comment peut-on collaborer ensemble ?

N'y pense pas. N'y pense pas. N'y pense pas.

— Incroyable, je suis tellement fier de toi, Ana. Vraiment.

Ma poitrine se soulage devant ses paroles et je lui souris.

N'y pense pas. N'y pense pas. N'y pense pas.

Nous traversons le couloir de la sortie avant d'atteindre la rue parisienne, bondée de touristes et d'habitants. Le ciel est gris, l'odeur de pluie emplit mes narines, les gens sont laids. Les routes sont remplies de voitures comme à son habitude, alors qu'on se dirige vers le café qui sert des Bubble Tea.

— Pourquoi es-tu si silencieuse ? Ça ne t'enchante pas de faire partie du projet ? C'est une putain d'opportunité.

N'y pense pas. N'y pense pas. N'y pense pas.

Je manque de me faire bousculer par un enfant et je peste contre lui à voix haute, ce qui me vaut une œillade meurtrière de sa mère. Mes mains tremblent alors je les cache et je ne prends même pas la peine de m'excuser. Je serre même les dents pour m'empêcher de l'insulter. L'enfant n'avait qu'à bien se tenir. Sale gosse.

— Anabella.

N'y pense pas. N'y pense pas. N'y pense pas.

Je reste concentrée sur la porte du café, les ongles plantés dans mon bras gauche. Couleur verte, écriture asiatique, personne accueillante. Quand j'entreprends d'agripper la poignée pour ouvrir, une poigne ferme me fait revenir à moi. Malo capture mes épaules et me fait pivoter face à lui, en plein milieu du trottoir.

— Qu'est-ce qu'il t'arrive, Leroy !

Retour à la réalité. Inspiration. Expiration.

Le doux visage de Malo apparaît devant moi alors que le vent hivernal nous englobe. Je bloque ma respiration, la tête qui tourne, puis baisse les yeux. Mon ventre se tord. La brume sombre et son souvenir me torture le cerveau.

N'y pense pas. N'y pense pas. N'y pense pas.

Mais c'est dur de ne pas le faire. C'est dur de ne pas penser à quel point mes projets ont pris l'eau, à quel point je vais devoir faire de plus gros efforts et, à quel point mon train-train monotone va se mettre à prendre des virages. C'est dur de ne pas penser au fait que je suis en train de perdre le contrôle de mes désirs.

Nectar Of GodsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant