18 | Forte attraction

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🩰 ANABELLA 🩰
Paris, toit parisien.

Près de la mort, c'est là que je veux danser.

Et c'est ce que je fais depuis au moins une bonne heure.

L'enceinte que Devon a positionnée sur une cheminée passe une composition célèbre que mon corps connaît du bout des doigts. « Torn » de Nathan Lanier résonne. Mes pieds se décollent du sol au moment où le son des violons se joue et je monte sur mes pointes, consciente que je peux tomber à tout moment. Il n'y a pas de barrières autour de moi, il n'y a pas de murets pour me rattraper. Seuls des tuiles métalliques et des bouts de cheminée m'encagent.

Devon a compris ce que je voulais avant même que je lui demande. Un toit sans limite, sans sécurité, prêt à m'accueillir.

Les bras au-dessus de ma tête, je gaine mon corps dans une figure parfaite. Je me fige, les yeux clos. La musique s'accélère, le tempo se fait plus saccader et à l'instant où les violons s'arrêtent pour continuer de plus belle, je me relâche puis valse dans les airs. Mes mains se déploient devant et derrière, sur les côtés et s'affaissent. Ma jambe droite effectue un grand battement, ma pointe touchant le ciel. Je tourne, je ressens. Je saute et mon corps se tord. J'inspire, j'expire. La dynamique de la musique s'immisce sous ma peau et je me livre à elle. Mes gestes se calquent aux notes enivrantes et je me laisse guider par la vague de plaisir qui m'enveloppe. Ma cuisse me fait mal et ma cheville est douloureuse.

Je ne vois rien autour de moi et je pourrai me fouler une cheville, tomber dans le vide à tout moment. Un mouvement suffit pour que je m'écroule sur les routes de Paris, mais je n'ai pas peur. Je me sens épiée de tous les côtés par Devon. Je peux même le sentir proche de moi, prêt à me récupérer si je venais à tomber.

Alors, je continue de danser, de cracher mon organe vital. J'essaye d'atteindre les nuages, le Paradis en m'envolant, puis retombe en Enfer quand mes pointes rejoignent le sol. Je tourne, glisse, saute et me perds. Essoufflée, j'ouvre les yeux, consciente que j'en montre trop. Il y a trop de moi et de mes émotions dans ma danse. Mon cœur décroche quand je croise le regard passionné de Devon. Je manque de perdre mon équilibre. Ma jupe en tulle caresse ma peau quand j'ose faire un grand jeté. Je vole, mes jambes s'alignent de chaque côté en un grand écart et je me réceptionne en pliant les genoux. Je respire trop fort lorsqu'un de mes chaussons bute entre deux plaques de zinc. Je gémis, chancelle et deux bras m'entourent la taille pour me soutenir. Je m'arrête et retiens mon souffle, la transpiration et la chaleur m'étouffent alors même qu'il fait froid dehors.

— Pourquoi ouvrir les yeux et oser faire cette figure alors qu'on sait, toi et moi, que quand le monde se dresse devant toi, tu perds ta stabilité ? gronde-t-il au creux de mon oreille. Tu aurais pu chuter.

Je lève les yeux vers la tour Eiffel qui se dresse face à nous puis tourne mon visage vers lui, derrière moi. Ses mains sont crispées contre mon ventre. Ses yeux brillent. Son expression est calme et une réelle curiosité déforme ses traits.

—  Parce que c'est plus flippant de me voir mourir. Et j'aime avoir peur.

Un sourire étriqué se dessine sur mes lèvres. Il me relâche et m'oblige à lui faire face en tirant sur un de mes bras. Nos corps entrent en collision, ses yeux vairons me parcourent de la tête au pied. Nos lèvres s'appellent. Une semaine sans se voir n'a pas su calmer le tonnerre qui gronde en nous. C'est trop fort pour l'effacer en si peu de temps. Le trajet jusqu'ici a été insoutenable et voilà que cette sensation ne nous quitte plus depuis.

— Alors, danse, mais ne regarde que moi. Si tu ne veux pas fermer les yeux, regarde-moi, Anabella. Pas l'univers.

Je serre les dents et soutiens son regard. Je le maudis, lui et son observation détaillée.

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