25 | Créature sombre

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🎨 DEVON 🎨
Paris.

Je ne vais pas aller chez elle.

C'est la première pensée qui me vient à l'esprit en roulant à quatre heures et demie du matin sur les routes désertes de Paris. J'ignore pourquoi, mais l'envie de l'avoir à mes côtés cette nuit me démange. J'ai besoin de savoir que tout est OK avant de la laisser seule. Elle sera capable de se réveiller en pleine nuit et de redanser.

Si elle pense qu'en faisant abstraction du repos, elle progressera, elle se trompe.

Je jure tout bas. Elle ne peut pas continuer comme ça. Elle ne peut pas s'éteindre de la sorte. Je jette un coup d'œil à ma droite. Avachie sur mon épaule, Anabella n'émet plus aucun signe de vie. La joue écrasée, quelques-unes de ses mèches me chatouillent le cou. Ses longs cils caressent ses cernes violets alors que ses lèvres fades sont entrouvertes. J'ignore depuis combien de temps elle n'a pas dormi, mais merde, ça me rend fou de savoir qu'elle a osé oublier l'état de sa santé pour une simple discipline où elle ne s'épanouit pas. Elle qui prétend toujours avoir un coup d'avance pour mieux attaquer, la voilà affaiblie entre mes griffes. Ça ne lui ressemble pas.

Je serre les doigts autour de mon volant en cuir et change de direction. Elle ne restera pas seule ce soir. Il est hors de question. Je manque d'abattre mon poing devant moi. Je suis en colère. En colère contre elle pour s'être laissée périr de la sorte, mais surtout contre ses professeurs qui ne voient pas sa fatigue et ses compétences.

Encore un peu et elle mourra d'épuisement.

Je soupire.

Elle dormira chez moi.

* * *

Satisfait, je contemple ma peinture. Mon visage reste stoïque et sans émotion devant mon œuvre, mais tout en moi s'émoustille, vibre et hurle de jouissance. La beauté de mes coups de peinture est parfaite.

J'ai fini ma première toile.

Il est sept heures du matin, le soleil ne s'est pas encore levé, mais les individus partent au travail et je peux clamer haut et fort que j'ai terminé ma première toile pour l'exposition sur Anabella et son cœur cramé.

Soulagé, je lâche l'air de mes poumons avec tellement de bien être que j'émets un petit sourire de côté. Ma peinture est incroyable et ce n'est pas parce que je l'ai peinte que je le dis. C'est tout l'aspect fantomatique et la présence de l'âme d'Anabella qui procure cette sensation. Les ombres et son message. Les couleurs et l'harmonisation des tons. Le corps en mouvement et le cadre choisi.

Si je commence comme ça, je sais d'ores et déjà que l'exposition va être folle.

Honnêtement, en observant mon art, j'aurais préféré la garder secrète cachée dans la pénombre d'une vieille galerie de Paris, inconnue de tous. Elle est si violente, macabre, morose et malsaine que ça en fera pâlir les tueurs en série. Est-ce vraiment moi qui ai peint ce chef-d'œuvre ? Il se pourrait. Des frissons me parcourent le dos, mes ongles me percent la cuisse et je reste presque médusée par ma propre création. Il me tarde de voir la réaction de Jim.

Mon regard parcourt mon carnet usé et inachevé sur ma table. Je le récupère, observant les kilomètres de papier parsemés de mes empreintes. Dedans se trouvent des centaines de dessins, de gribouillis où hurle une détresse terrifiante.

Anabella, ma muse, ma lune qui éclaire mes nuits et qui me fait pondre le plus beau des rayons de lumière austère, que vais-je faire ?

Je fronce les sourcils, mon cœur se resserre dans ma cage thoracique. Qu'est-ce qui se passe à l'intérieur de moi ? Entre nous ? Pourquoi est-ce que ça me percute aussi fort ? Je m'identifie tellement à cette toile alors même qu'elle est le reflet d'Ana.

Nectar Of GodsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant