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Time doesn't heal anything. He just teaches us to live with the pain.

Le temps ne guérit rien. Il nous apprend juste à vivre avec la douleur.

— Elia ?

Je le trouve assis sur la chaise derrière son bureau, un verre d'alcool en main et les cheveux en pagaille. Il a une plus sale mine qu'il y'a trente minutes. Je me rapproche donc de lui et prends place sur le siège en face du sien. Tout d'un coup, peut-être inquiète de son état ou curieuse de savoir ce qui ne va pas, je lui demande :

— Tout va bien ?

— Pourquoi tu me demandes ça ? Tu as dis ne plus vouloir que je t'approche. Qu'est-ce que tu fais donc là ?

Je ne m'attendais clairement pas à ce qu'il me balance ça en plein visage alors que pour une fois, je fais semblant de m'intéresser à mon prochain. Chose que notre très chère père dans les cieux nous recommande dans sa bible. 

— Es-tu obligé d'être aussi cru ? Je m'inquiète juste pour toi.

— Qu'est-ce qui te fait croire que ça ne va pas ? Tu as entendu ma conversation avec ma mère ?

À force de rester avec lui, j'ai compris que si je veux vraiment les duper je dois être comme une tombe. Ne rien voir et ne rien entendre. Parce que cette deuxième facette de lui que je ne connaissais pas peut-être dangereuse. Cette facette qui a renversé Hunter et a préféré le laisser presque mort. Cette même facette qui a fait du mal à ces hommes qui ont filmés Bogota. Cette même facette qui m'a pourri la vie tous les jours que j'ai travaillé pour lui. Alors oui, je vais être comme une tombe dans cette maison. Pour les observer et pour mieux découvrir ce qu'ils cachent à tout le monde.

— Non, je n'ai pas entendu votre conversation. Mais étant moi-même une grande buveuse d'alcool je sais que lorsqu'on boit à cette heure de la journée c'est que forcément il y'a un problème. Quelque chose s'est passée ?

— Rien qui ne te regarde. À ta place je prendrais cette porte sans me retourner, du moins tant que tu le peux.

Il boit la dernière gorgée de son whisky avant de poser le verre vide sur la table. Il semble soucieux, inquiet, et je dirais même si je ne le connaissais pas autant, terrorisée. À cet instant, une multitude de questions me traverse l'esprit. Qui était réellement ces deux hommes ? Pourquoi étaient-ils tant en colère contre lui ? Mais surtout, qui est vraiment Michaël WILLIAM ?

— Pourquoi tu me dis ça ? Si tu penses que je suis le genre de petite fille fragile qui va se casser un ongle au moindre mouvement tu te trompes. Anaconda par contre elle est plus du genre vu le nombre de fois qu'elle part chez le pedicure.

Il semble que ce que j'ai dit l'ai légèrement amusé à en juger par le petit sourire qu'il a affiché l'espace d'une seconde.

— Je sais bien que ce n'est pas évident pour toi de tout porter sur tes épaules. Bogota ne peut pas le comprendre étant la cadette, mais les aînés ont énormément de responsabilités.

— Parce que toi tu es l'aînée ?

— Pas vraiment, mais on peut dire ça vu que mon grand-frère a disparu étant petit.

Il arque des sourcils l'air d'être non seulement surprit, mais aussi l'air de ne rien comprendre. Cette information provoque toujours le même effet chez ceux qui me connaissent un tant soit peu, tant je suis discrète en ce qui concerne ma famille.

— Comment ça ? Tu as un frère ?

— D'après ce que mon père m'avait raconté, ma mère serait allée faire des courses avec lui au marché. Pendant qu'elle achetait les fruits, un homme a volé de l'argent dans une boutique et tout le monde s'est mit à sa poursuite. Le temps qu'elle se baisse pour porter mon frère et l'éloigner, il n'était déjà plus là, il y'avait une grande confusion et elle n'y voyait rien du tout. Elle a passé toute la journée à le chercher mais elle ne l'a pas trouvé, elle a même demandé aux commerçants mais personne ne semblait avoir vu un enfant. Ça l'a détruit pendant longtemps, surtout que malgré les mois qui passaient la police n'avait aucune nouvelle pour elle. Mon frère avait disparu comme par magie et jamais on ne l'a retrouvé. Peut-être qu'il s'est perdu et est mort de froid plus tard, ou peut-être qu'on l'avait kidnappé mais je ne vois pas pourquoi. Mes parents étaient plus fauchés qu'une junkie en manque de crack et n'auraient jamais pu payer une quelconque rançon.

Comme je l'avais prédis, cela émouvoit ce crétin qui me dit d'une voix compatissante :

— Je suis navrée, ça a dû être horrible pour toi aussi.

— Je n'étais pas encore née donc je ne l'ai pas connu. La plus grande douleur n'a pas été de perdre mon grand-frère, mais de perdre ma mère.

— Ta mère est morte ?

— Non. Elle était énormément déprimée après la disparition de mon frère et ça a duré deux ans. Chaque jour elle espérait que la police lui donne enfin de bonnes nouvelles mais mon père qui s'était déjà résignée lui a proposé de faire un autre enfant. Au début elle n'était pas joyeuse, mais quant-elle est tombée enceinte tout a changé. Elle était impatiente de faire l'échographie des sexes pour confirmer que c'était un garçon. Mais en fait, on était deux. Mon frère jumeau et moi. Mon père était ravie de cette nouvelle, mais ma mère était juste contente d'avoir à nouveau un garçon. Et puis quant-elle a accouché, mon frère était mort-né, et moi je suis sortie sans aucun problème ce qui a anéanti ma mère. Elle est partie dès que mon père avait le dos tourné, et on a plus jamais entendue parler d'elle.

Cette partie de ma vie m'a longtemps fais pleurer, m'a longtemps fais souffrir. Mais j'ai appris à vivre avec mes souffrances, j'ai appris à m'en servir pour forger la Elisabeth POTIN que je suis aujourd'hui. J'en veux encore à ma mère, mais je ne m'en veux plus à moi. Je ne pense plus que c'est de ma faute si elle est partie, je ne pense plus que je suis une merde. Je me suis pardonnée à moi-même de m'être longtemps rendue coupable de ses fautes. Du fait que mon frère était mort-né. Du fait qu'elle soit partie sans moi. Du fait qu'elle n'ait jamais été là.

— Tu n'as pas eu une vie de tout repos.

— Tout ça n'est que du passé maintenant. Le plus difficile à cette époque c'était d'écouter mon père raconter la même histoire chaque jour. J'ai préféré donc croire qu'elle est partie chercher mon frère, et qu'un jour elle reviendra avec lui. C'était beaucoup plus facile de fuir la réalité, je ne voulais pas croire que j'ai gâché sa vie car le monde pensait que j'avais tué mon frère dans le ventre de notre mère, pourtant j'aurais été tellement heureuse qu'il naisse en bonne santé. Tout le monde pensait que j'étais une putain de sorcière. Mais, comment peut-on dire ça à un enfant ? Comment peut-on mettre de telles pensées dans la tête d'un être innocent ?

— Effectivement c'est bien triste parce que rien de tout ça n'était de ta faute. Je suis désolée d'avoir moi aussi contribué à ton malheur en te traitant comme une merde. Si j'avais ne serais-ce que su cette version, jamais je ne serais allée aussi loin.

Décidément, il n'y a que les les psychopathes qui disent ce genre de choses. Je ne lui ai pas raconté ma vie pour qu'il s'excuse, tout ce que je voulais c'était qu'il comprenne qu'il n'est pas le seul à avoir vécu une vie de merde. Comparée à moi, sa vie est même mille fois mieux. Moi je n'ai jamais eu le choix dans ma vie, tout m'a été imposé. Que ce soit le départ de ma mère, la mort de mon frère, les kilos que j'ai pris durant cette période, ou même encore ma vie de pauvre. Tout a été collée de force à mon cul et j'ai été obligé de vivre avec.

— Arrête de me regarder comme ça, j'ai horreur d'inspirer la pitié. Au lieu d'être désolée pour moi raconte-moi plutôt ton histoire. Qui est cette femme qui s'est foutue de toi ?

— Tu ne lâches pas l'affaire, qu'est-ce qui te fait croire qu'une femme s'est foutue de moi ? On est pas dans un stupide cliché ici.

— Bien sûr que si voyons, c'est comme un roman que nous écrivons et tu le sais parfaitement. La fille à la grande gueule qui rencontre l'homme riche arrogant et égocentrique ? Pfff. Typique des romans ennemis to lovers. Alors dis-moi plutôt la vérité, qui est cette femme parce que je sais qu'elle existe.

Il soupire avant de dire d'un ton faible :

— Je n'en parle plus depuis longtemps et je déteste qu'on prononce son nom.

J'esquisse alors un sourire et lui demande d'un air amusé :

— Et si on lui trouvait un autre nom ?

— Un autre nom ?

— Oui, qu'est-ce que tu penses de la cinglée ? Tu vois, comme ces tarées fraîchement sorties de l'asile de fou.

Il esquisse lui aussi un sourire avant d'acquiescer et de répondre :

— Va pour la cinglée.

Ma secrétaire, cette détraquéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant