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Toute la famille était autour de la table extérieure. Le dîner était terminé depuis plusieurs heures mais la météo était encore agréable et le soleil tardait à se coucher alors ils en profitaient, discutant de tout et de rien. Mathieu avait même attrapé les jambes de Lina pour les poser sur ses genoux et caresser sa peau, se moquant de son habituelle pudeur familiale pour s'apaiser un peu, surtout lorsqu'ils conversaient autour de son enfance comme si c'étaient des souvenirs joyeux, comme si ses parents ne l'avaient pas ballotés de maisons en maisons jusqu'à le déposer chez sa grand-mère, comme si son père n'avait pas utilisé la violence physique et émotionnelle pour le soumettre, comme s'il n'avait pas dû oublier son adolescence pour travailler illégalement.

« Il faudra me montrer des photos de Mathieu petit quand on viendra vous voir. »

« Absolument, c'était un petit garçon timide et dans son monde. Il était beau comme tout. » Lina regarda amoureusement le blond qui préférait épier chaque détails de sa peau hâlée.

« Papa dit toujours que c'était une tête brûlée. »

Enzo pouffa tandis que son grand frère tiquait, inclinant sa tête tout en serrant la mâchoire. Il se demanda un instant si la conversation ne pouvait pas plus aller à son désavantage. Lina le sentit se raidir et espéra qu'ils changent de sujet ou défendent son petit ami. Néanmoins, le plus jeune restait innocent et souhaitait toujours autant avoir l'amour de son paternel, contrairement au plus grand qui avait suffisamment été déçu pour ne plus y croire.

« T'as fait plein de bêtises quand t'étais jeune. Moi je suis plus sage, papa est venu à ma réunion à l'école et ils ont dit que j'étais un des meilleurs élèves. » Le rappeur souffla. Maintenant, son père allait aux obligations parentales alors qu'il ne l'appelait même pas.

« Ça va mieux à la maison ? » Lina intervint en pensant bien faire, en pensant que si ça se passait mieux, Mathieu serait rassuré.

« Oui, ça va beaucoup mieux. Il est même venu me voir au foot l'autre jour alors que j'étais pas à la maison. » Enzo haussa les épaules innocemment mais ce fut de trop pour Mathieu qui préféra quitter cette scène absurde.

« J'reviens. »

Lina fronça les sourcils alors qu'il se levait en vitesse pour rentrer à l'intérieur. Elle hésita un instant avant de le suivre, s'excusant autant pour elle-même que pour lui. Elle ferma la baie vitrée avant de réfléchir un instant où il avait été se réfugier.

Finalement elle fila jusqu'à son studio, prenant le temps de toquer mais pas d'attendre qu'il réponde, entrant directement. Il était assis au sol, dans un coin rempli de pénombre. Néanmoins, elle n'eut besoin de voir son visage pour savoir qu'il pleurait. Il releva la tête vers elle pendant qu'elle approchait, essuyant son visage rapidement pour camoufler ses émotions. Seulement, elle n'eut qu'à s'accroupir et embrasser son front pour qu'il éclate dans un sanglot.

« J'veux pas de ta pitié. »

« Tant mieux parce que je suis pas là pour ça. » Elle passa ses pouces sous ses yeux. Elle pouvait voir qu'il crevait d'envie d'extérioriser sa colère. Elle inspira profondément, sachant très bien que dans cet état, il sortait ses pensées de manières maladroites, presque injustes, parfois même à son encontre. « Bébé, soit tu parles, soit on laisse les choses s'envenimer jusqu'à ce que t'exploses et qu'on finisse lésé. »

« Je le déteste putain. » Malgré qu'il parlait d'une voix basse, Lina eut l'impression qu'il criait tant il crachait son chagrin. « Tout va mieux maintenant que je suis parti ? Quel connard ! C'était pas compliqué putain, ils avaient qu'à pas baiser ou qu'à avorter de moi, ça aurait été plus simple ! J'ai jamais rien demandé moi, j'ai jamais demandé à être là ! » Elle posa ses mains sur ses épaules. « Mais je te jure, Lina, jamais je voudrais de gosses. Hors de question que je prenne le risque de faire ressentir ça à un gamin. » La brune baissa le regard quelques secondes avant de remonter vers son visage. « D'être un poids, une erreur, tout le temps. »

« De ton point de vue, je comprends. De mon point de vue, c'est différent. Je te rappelle que depuis quelques mois, au vue du traitement qu'il a eu envers ses enfants, il a Enzo quelques week-ends au lieu d'une semaine sur deux. Dois-je te rappeler le nombre de fois où tu as dû aller chercher Enzo parce que ton père était encore colérique et saoul ? Je crois pas que ça soit une question de favoritisme. Par contre, je crois que les mots que tu lui as dit avant de partir, ont eu un impact. Et peut-être qu'il essaye de réparer ses erreurs auprès du seul avec qui il peut. » Elle attrapa son visage en coupe, se retenant de se laisser envahir par ses propres émotions. Le chagrin de Mathieu disparaissait au fur et à mesure de ses mots et laissa place à la culpabilité et le regret d'avoir balancé ces horreurs. Il était certain de l'avoir blessée par la même occasion. « Alors, sois en colère et triste, bébé, mais sache que, parce que tu t'es battu, Enzo aura peut-être la chance d'avoir un père potable. Ça fait de toi une personne bien meilleure que lui. C'est une chance que tu sois né, crois-moi, je suis sûrement la mieux placée pour le dire. »

Elle préféra ne pas déblatérer de nouveau de son refus d'être père, sachant très bien que c'était un sujet sensible. Surtout, depuis qu'elle avait remarqué ses oublis sur sa plaquette contraceptive. Lui non plus ne relança pas le sujet, trop soulagé par ses mots. Il voulait croire qu'elle avait raison, qu'il n'était pas tant un fils horrible que son père détestait, préférant son cadet jusqu'à être heureux de son éloignement géographique. Il souffla pour retrouver constance avant de l'attirer vers lui pour qu'elle puisse s'asseoir sur lui. Il embrassa sa joue amoureusement, prenant le temps d'inspirer son odeur pour réconfort.

« Merci bébé. J'ai aucune idée de si ce que tu dis est vrai mais merci. Je t'aime de fou pour ça. » Elle toucha du bout des doigts sa barbe. « Cette enfance de merde, je te jure... Heureusement que mamie a été là. T'imagines sinon ? Pourquoi les gens font des enfants s'ils ne peuvent pas assumer ? C'est pas compliqué de prendre une putain de pilule. » Elle baissa le regard entre eux, les joues roses et les lèvres pincées.

« Enfin, les accidents, ça existent. On peut oublier. Et même en prenant tous les jours, c'est même pas à 100%. » Il secoua la tête. Elle préféra se redresser, trop embarrassée et heurtée. « On va se coucher ? J'suis un peu fatiguée. »

« Tu dois me masser ? » Elle ouvrit la porte et il la suivit.

« Comme tu veux. »

Il fronça les sourcils tout en attrapant son bras pour qu'elle se retourne. Jamais elle ne lui avait laissé une porte de sortie pour ne pas réaliser ses soins. « J'ai dit un truc qui t'a blessé. » C'était même pas une question, il le savait rien qu'à son attitude.

« Tu peux pas juste te baser sur tes parents pour avoir un avis global sur un sujet, c'est tout. »

« Je me base sur mon expérience. »

« Si je me basais sur mon expérience, on serait pas ensemble. Je serai seule, droguée dans un putain d'appartement. Il faut parfois être critique envers nos propres idées. » Elle se libéra pour monter dans les escaliers. « Tu viens maintenant ? »

« J'arrive. »

Phœnix Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant