Phœnix Souls [PLK]

18

Si Lina savait bien quelque chose sur Ben dorénavant, c'est qu'il adorait lui faire découvrir des endroits. Ce soir, il n'en démordait pas, l'invitant dans un bar. Toutefois, celui-ci ne ressemblait aucunement où elle l'avait l'habitude d'aller avec ses amis ou même dans son enfance avec sa mère. Celui-ci était chic et moderne. Des lustres illuminaient la salle où des fauteuils en cuire trônaient autour de tables basses. Elle leva la tête pour admirer les ombres se dessinant grâce aux moulures du plafond. Ben posa sa main dans le bas de son dos et elle replongea tête la première dans la réalité, s'éloignant légèrement pour que seuls ses doigts se ressentent contre elle. Il ne fit aucune remarque, la dirigeant jusqu'au bar. Elle apprécia ne pas avoir à se cacher au fond de la pièce ou d'une salle privatisée comme elle avait l'habitude avec Mathieu, prenant le temps de commander tout en discutant avec Ben sur le meilleur cocktail possible. Il attrapa leurs deux verres avant de se diriger vers une table vide.

« Alors, qu'est-ce que tu en penses ? »

Elle admira une nouvelle fois les alentours. « C'est magnifique. » Elle se détacha enfin des ornements pour le regarder. Il portait un haut sans pli qui semblait illuminer son teint. Il n'y avait aucun doute, elle le trouvait beau. Pourtant, elle ne sût dire ce qu'il lui manquait. Peut-être seulement un défaut sur cette peau si lisse ; une barbe mal rasée, une teinture ratée, une cicatrice visible à travers une chemise déboutonnée. Elle secoua la tête pour chasser ses idées avant de siroter son verre, mâchouillant la paille pour libérer une partie de son malaise. « Tu viens souvent ici ? »

« Mon père aime bien cet endroit. Il fait parfois des rendez-vous ici et il m'y convie. »

Elle ne put se retenir de rire mais le regard confus de Ben la fit rougir bêtement. Il haussa les sourcils pour qu'elle développe sa pensée. « J'trouve ça bizarre des rendez-vous professionnels dans un bar. »

« Oui, enfin, c'est pas comme si tu y connaissais quelque chose. » Lina baissa le nez et il se rattrapa en prenant sa main a travers la table. Elle ne put s'empêcher de penser que Mathieu préférait se mettre à ses côtés pour plus d'intimité. Elle avait toujours aimé lorsqu'il tirait sa chaise tout en argumentant qu'il pouvait bien plus profiter de sa peau et de ses lèvres s'ils n'étaient pas face à face. « Je rigole, Lina. Tu as raison, c'est un peu bizarre, mais l'alcool délie les langues. Cela aide pour faire des contrats ou du moins, avoir ce que l'on souhaite. » Elle voulait lui dire que ce n'était pas loyale voire immorale mais sa remarque avait été suffisamment piquante pour qu'elle s'abstienne. À la place, elle se replongea dans ses souvenirs, dont toutes les fois où on l'avait invité à boire ou prendre des substances pour profiter d'elle. Elle s'arrêta soudainement de se désaltérer. Peut-être que c'est ce qu'il voulait. « Tout va bien ? »

Elle le regarda une nouvelle fois. « Oui, j'ai juste besoin d'aller aux toilettes. »

Il acquiesça mais alors qu'elle s'éloignait, il l'attrapa pour la tirer vers lui et poser ses lèvres impatientes sur les siennes. « Dépêche-toi. J'ai vraiment envie de continuer cette soirée. »

Elle lui lança un sourire pincée avant de s'éloigner, titubant presque sur ses talons. Elle serra contre elle sa pochette tout en réalisant un détour pour se perdre dans la foule et sortir dehors. Une brise fit virevolter ses cheveux et elle put prendre une bouffée d'air. Ses poumons se gonflant fit ressortir un trémolo coincé dans sa gorge. Alors, elle prit de longues inspirations, s'imaginant les pieds dans le sable et le soleil réchauffant son cœur. Aucune larme ne tomba malgré la bataille dans sa poitrine. Toutefois, si une personne ne pouvait louper ce combat émotionnel, c'était Mathieu, assis dans sa voiture. Il la connaissait trop bien et les poings serrés tout aussi fort que ses paupières ne pouvaient le tromper. Sans hésitation, il traversa la route sans faire attention au trafic, souhaitant seulement la rejoindre le plus rapidement. Il s'arrêta net devant elle, gardant quelques centimètres de distance, suffisamment pour apprécier son parfum sans pour autant être tenté de la toucher.

« Lina. » Sa voix était rauque d'être resté dans la voiture, seul, pendant des semaines. Elle ferma plus fort les yeux, ses mains se cramponnant à ses tempes comme si elle devenait folle. « Lina, regarde-moi. »

« Tu peux pas être là. » Elle secoua la tête, ses pensées semblant tournoyer à l'intérieur comme des vautours. « J'peux pas prier que tu sois là, j'peux pas t'entendre, pas maintenant. » Il fronça les sourcils puis attrapa son poignet, espérant que le contact physique la ramène à la réalité. Ils s'électrisèrent si fort qu'elle ouvrit ses paupières abruptement. « Mathieu ? » Elle se plongea dans son regard pour y percevoir un défaut de tangibilité, un signe de sa propre folie mais tout ce qu'elle vit était le calme plein. Il n'y avait plus les musiques ou encore les rires de la foule. Elle oublia son angoisse ou encore ce qu'elle faisait ici, il n'y avait plus que ses prunelles sur elle. « T'es vraiment là ? » Elle posa sa paume sur son torse tandis qu'il lui tenait encore la main. Le cœur de Mathieu battait la chamade et elle put le sentir en accord avec le sien. « Qu'est-ce que tu fais là ? »

« Qu'est-ce qui ne va pas ? » Elle se rapprocha naturellement, sans même y réfléchir, jusqu'à poser son front contre son torse. « Parle-moi. »

Il la sentit secouer la tête. « J'ai juste besoin de souffler. Cinq minutes. » Elle inspirait son odeur, espérant que ses poumons gardent son parfum. Malgré son palpitant en feu, elle se sentait bien plus sereine que ce qu'elle n'avait été dernièrement. Elle agrippa de toutes ses forces son sweater pour ne pas qu'il s'échappe. « Enlace-moi, je t'en supplie. » Il ne se fit pas prier, s'enroulant autour d'elle. « Merci. » Il embrassa son crâne tendrement tandis qu'elle semblait vouloir fondre contre lui, s'enfoncer dans sa peau. Et il avait envie que ça soit possible, qu'elle puisse rester là, coller jusqu'à la fin de sa vie. Toutefois, Ben était à quelques mètres de là et Lina avait fait un choix.

« Il va se poser des questions. »

« Je sais. » Ils ne bougèrent pas pour autant. « J'vais y retourner. Ça va aller. » Il huma son shampoing, continuant de la tenir contre elle. « Je ne sais pas comment ça se fait que tu sois là mais...merci. » Elle se détacha enfin mais seulement pour le regarder. Sa casquette cachait ses cheveux non entretenus mais accentuait suffisamment ses cernes pour qu'elle sente l'acide de son estomac monter dans sa bouche. Elle ne retint pas ses instincts et passa son pouce sous ses paupières. « Mathieu. » Son ton était maternel. Elle avait complètement oublié sa propre anxiété pour la sienne.

« Lina ? » Il se força à sourire tout en retirant sa main. « Rentre à l'intérieur, tu t'en sors super bien. T'es la meilleure, l'oublie pas. » Il la regarda de bas en haut, le regard encore aimanté comme au premier jour.  « Et t'es magnifique. Alors les hommes n'ont qu'à bien se tenir. » Il lui fit un clin d'œil et elle s'éloigna en marche arrière pour rejoindre la porte du bas.

« Merci, Mat, pour tout. »

« Merci à toi, princesse. »

Après qu'elle soit rentrée, il rejoignit la voiture.
Néanmoins, il n'eut le temps de retrouver ses esprits qu'il recevait un appel.

« C'est Lucie ! J'arrive pas à joindre Lina, il faut que tu l'éloignes de Ben. Toute de suite ! »

« Pourquoi ? »

« Fais-le ! »