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Après son altercation avec la police, Mathieu avait décidé de rouler en voiture pendant des heures. Il n'avait aucun itinéraire et sa conduite semblait plutôt en automatique qu'autre chose. Néanmoins, il se sentait incapable de rentrer avant que la nuit ne tombe et que son désarroi se mette en sourdine comme les bruits de la ville.

Lorsqu'il ouvrit la porte de l'appartement, il ne put s'empêcher d'inspirer profondément. L'odeur n'y était plus la même depuis que Lina vivait ici et il en était comblé.
Ça sentait bien plus la maison depuis qu'elle y habitait.

Il fila jusqu'à la salle de bain sans passer une tête par la chambre, sachant très bien que sa figure déformée par l'inquiétude et l'insuffisance  l'alerterait. Toutefois, il n'eut le temps de se regarder dans le miroir pour confirmer que la porte s'ouvrait doucement. Elle fonça contre lui, passant ses mains sous son pull pour avoir sa peau. Il pouvait sentir sa peine rien qu'à la manière dont elle le serrait de toutes ses forces.

« J'ai essayé de t'appeler un million de fois. Merde bébé, fais plus jamais ça. » Il l'enlaça distraitement, sachant très bien que s'il se concentrait sur les sensations qu'elle provoquait, il s'effondrerait lamentablement. « Où est-ce que t'étais ? » Elle quitta le réconfort de son torse pour le regarder tandis que lui semblait plus intéressé par un point invisible au dessus de sa tête. « Mat, hé, allo ? » Elle attrapa sa mâchoire pour le forcer et il n'essaya pas de se débattre, plantant enfin ses prunelles dans les siennes. Seulement, celles-ci restaient vaporeuses comme s'il ne la voyait pas vraiment. « Qu'est-ce qu'il se passe ? » Elle se hissa sur ses pointes de pied et déposa ses lèvres contre son menton, seul point atteignable tant il se tenait raide. Mais, malgré ses attentions, il resta absent.

« J'ai besoin de prendre une douche pour dormir. » Elle acquiesça tout en tenant l'ourlet de son propre débardeur. Néanmoins, elle n'eut le temps de le retirer qu'il secouait la tête. « J'en ai pas pour longtemps. Il est déjà super tard, t'aurais pas dû m'attendre. » Il ôta ses vêtements et se jeta presque sous l'eau encore froide, impassible.

« J'étais inquiète. » Elle croisa ses bras tout en reculant et les hypothèses de Lucie données quelques heures plus tôt hantèrent ses pensées. « Si tu m'en veux pour Ben ou que tu crois qu'on s'est remis ensemble trop rapidement, tu peux le dire. Mais ne fais pas ça, ne mets pas de mur entre nous. » Il ne répondit pas, incapable de décontracter sa mâchoire. Ce fut suffisant pour que la brune prenne la porte.

Mathieu s'appuya contre la paroi de la douche, les paupières closes et le cœur au bord des lèvres. Il voulait exploser dans un cri qui briserait les vitres. Il voulait détruire cette salle de bain jusqu'au dernier morceau. Cependant, sa petite amie était juste à côté et il avait suffisamment été stupide sans en rajouter. Il fronça les sourcils tout en grimaçant, pris d'une peine brûlante. Il ne supportait plus cette situation et tout ce qu'il avait entrepris semblait désuet voire absolument contreproductif. Lina était vulnérable avec ou sans lui mais lui, l'était encore bien plus en son absence. Il n'y avait plus de solution et il était temps d'accepter la situation et d'être raisonnable. Il frappa de sa main le mur, la douleur se propageant dans sa paume, et il se trouva complètement abruti d'en arriver là.

Être raisonnable.

Il éteignit l'eau avant d'en sortir pour s'essuyer rapidement. Il avait besoin de lui parler, de tout lui dire, de lui raconter ses peurs et ses déchirures. Il voulait avancer à ses côtés. Il enfila un caleçon avant d'ouvrir la porte et de buter contre une petite figure. Dans sa précipitation, il n'eut le temps de la rattraper qu'elle tombait en arrière.

« Mais qu'est-ce qui te prend ce soir ? » Les larmes aux yeux, elle se tenait la cheville, celle fragile depuis sa chute au ski, et Mathieu se sentit pâlir. Elle se releva tout en refusant son aide et boitilla jusqu'à la cuisine pour sortir de la glace. Il la suivit tout en scrutant chacun de ses mouvements, jurant intérieurement qu'il ne manquait plus que ce genre d'événement. Il était sûr qu'elle pensait à leur rupture lorsqu'elle était tombée et qu'il était refermé. « Je vais bien merci de demander. » Elle monta sur le comptoir et observa sa cheville grâce à la lumière de la hotte, grimaçant tout en palpant sa peau. « Enfin, je crois. »

« Bébé. » Sa voix craqua et il ne put retenir une larme de couler. Il baissa la tête pour se camoufler mais Lina ne pouvait pas manquer sa posture affaissée. Il frotta vigoureusement sa barbe. « J'crois que j'ai besoin de toi. » Elle lui tendit une main, le cœur tiraillant de toute part à ses mots. Il s'approcha pour l'attraper. Elle avait oublié sa frustration juste en croisant son regard. Il n'y avait plus que lui qui comptait. « J'me rends compte que ça va pas et j'peux pas faire semblant parce que je veux pas tout gâcher.» Elle passa son pouce sous les yeux de Mathieu et il s'inclina pour profiter de son contact. « Putain, j'suis désolé. » Elle fronça les sourcils tout en se pinçant les lèvres, confuse de son excuse, mais elle n'eut le temps de formuler quoi que ce soit qu'il reprenait. « J'devrais être plus fort pour toi. J'devrais pouvoir te protéger. » Il secoua la tête. D'autres larmes avaient décidé de s'enfuir. « J'arrive plus à penser à autre chose. C'est dans mon crâne, tout le temps. Tellement que j'aimerais juste me saouler à mort pour tout oublier. » Lina le rejoignit dans ses émotions, sanglotant tout en le regardant. « J'dois t'avouer que j'y pense. Ça effacerait les images et les voix. Au moins quelques heures. »

Elle posa son front contre le sien, toujours assise contre le comptoir, la douleur de sa cheville complètement oubliée du fait de celle dans sa poitrine. « Quelles images ? Quelles voix ? »

« Ton corps abîmé par Marcus ainsi que toutes les manières qu'il a utilisé pour le faire. » Elle prit son visage en coupe pour la rapprocher encore un peu plus, si bien que même leur nez se frôlaient et que leurs larmoiements se mélangeaient. « Mes tripes qui me disent que tout ça n'est pas fini et que ça se terminera mal. » Elle l'embrassa tendrement. « J'suis désolé bébé, si tu savais, j'aimerais que tu continues de croire que je suis infaillible mais c'est loin d'être le cas. »

« Je n'ai jamais voulu que tu le sois. » Elle attrapa sa nuque tandis qu'il gardait ses mains à plat sur le comptoir. « J'suis tombée amoureuse de toi, entièrement. » Elle s'humecta les lèvres avant de les faire papillonner sur sa pommette. « Et je t'aime encore plus ce soir alors que je pensais que c'était pas possible. » Il ferma les yeux tout en contractant ses épaules pour bloquer une vague de soubresauts. « Tu dois arrêter de retenir tes émotions dorénavant. Je ne te jugerai jamais et je serai toujours là pour les accueillir. » La voix de Lina n'était plus qu'un murmure dorénavant. « Je ne t'abandonnerai pas. Jamais. On était fait pour se rencontrer, pour tomber amoureux, pour s'élever à deux. Et on finira vieux et heureux ensemble. Je te le promets. »

« J'veux qu'on parte de Paris. »

Il se pinça les lèvres, apeuré, mais elle haussa les épaules. « Tout ce que tu veux. »

Phœnix Souls [PLK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant