Chapitre 32 - partie 2

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Le silence règne dans les oubliettes. C'est un râle qui vient le briser.

- Carl ? appelle ma mère.

- Ouais, souffle-t-il d'une voix rendu rauque à force de hurler.

Je me demande même comment il parvient encore à parler. De plus, la douleur doit être insupportable. 

- Economise-toi, lui intime ma mère. J'ai l'impression que ta jambe est brisé.

- Il a dû toucher mes nerfs, murmure-t-il. Je ne sans absolument rien.

Les sanglots menacent encore d'exploser. Ma gorge se comprime.

- Reste calme, d'accord, implore ma mère.

- Lara... Je vais crever, annonce-t-il. Tu le sais aussi bien que moi. Si ce n'est pas de mes blessures actuels, se sera avec ce qu'il me réserve encore.

Je m'adosse au mur sale, la tête en arrière, histoire que la gravité empêche mes larmes de couler. Nous avons eu des débuts difficile avec Carl, mais j'ai appris à l'apprécier, à le connaitre. Rien que ce qu'il a fait pour les orphelins m'a montré que c'était un homme.

- Il a raison, reprend mon père. Il faut qu'on soit lucide et qu'on garde la tête froide. Ce n'est que le début. Soit on continue de subir, soit on tente de s'échapper. Dans tout les cas, c'est fini pour Carl.

Cette fois je ne peux plus rien retenir. Moi qui pleurait si peu auparavant, je me transforme en fontaine face à la mort. Je pensais être une dur à cuire qui se fichait de tout et de tout le monde. Je me trompais lourdement.

- Il faut qu'on sorte d'ici, s'exclame Elias, silencieux depuis un moment.

Au ton de sa voix, je sens la colère qui bouillonne en lui. 

- Un plan d'évasion me parait difficile, rétorque ma mère.

Je prends une inspiration et essuie mes larmes de mes mains sales. Il doit y avoir des trainés noirs sur mon visage. Peu importe !

- Cora et les autres doivent surement réfléchir à quelque chose, glissé-je. S'ils n'ont rien fait jusque-là, c'est qu'il ne doit pas y avoir grand-chose à faire. Alors qu'est-ce qu'on pourrait bien faire, enfermer ici ?

- Ne soit pas défaitiste, s'écrie Elias. Ne baisse pas les bras. J'ai peut-être une idée, mais je ne suis sûr de rien.

Je fronce les sourcils, m'apprêtant à lui demander d'expliquer. Mais la porte s'ouvre de nouveau.

- Je vois que tout le monde est réveillé ! chantonne Costa, bien trop content pour notre sureté. On va pouvoir discuter. Les Mercer, prêt à faire ce que je vous demande ?

- Tu es complètement fou, hurle Marcus, un monstre. On te donnera pas ce que tu veux. Jamais !

- Vous ne me laissez pas le choix, soupire-t-il.

Un geste de la main et deux soldats entre pour attraper Carl. Il le traine une nouvelle fois, ne prenant même pas la peine de le soulever. Je tambourine à la porte.

- Fous lui la paix, crié-je de toute mes forces.

Je ne suis pas la seule à réagir de cette manière, Elias aussi. Il donne des coup de pieds dans la porte, frappe et crie. Carl disparait mais il ne s'arrête pas. Costa fait signe à un homme rester à la porte. 

- Surveille-les, reste là. Ils commencent à s'agiter un peu trop pour leur bien.

La porte se referme, le soldat avec nous.

- Jude ! l'appelle Elias. Fais pas genre tu m'entends pas. On a partagé un dortoir ensemble. Je me souviens de la première nuit dans les baraquements militaire. Tu pleurais, ne supportant pas l'entrainement de taré qu'on nous donnait. Je suis le seul à t'avoir parlé ! Je mérite pas que tu m'ignore.

J'écarquille les yeux. C'est donc ça son idée, tenté d'amadouer un garde ? Pas sûr que ça fonctionne, mais c'est le seul que l'on ait.

- Oui, tu te rappelles ce que tu m'as dit ? cracha le garde. De me forger une carapace, de voir tout le monde comme un ennemi !

Ouais, on est mal barré. Je laisse mon dos glisser contre le mur, jusqu'à ce que mes fesses touchent le sol.

- Je n'ai pas dit que ça ! reprend Elias. Je t'ai dit que nos supérieurs devaient être vus comme nos ennemis. Mais surtout, qu'il ne fallait pas oublier pourquoi on s'était enrôlé. Je sais que tu l'as fait pour ta mère. Parce qu'elle est malade.

La tête posé sur mes genoux, je tends l'oreille. Elias a toujours été du genre à prendre soin des autres. Il me le montre encore une fois. Il était celui à qui les orphelins venaient raconter leur problème, le grand frère de toute le monde. Moi, je ne le faisais qu'avec Cora. Les autres... Je les aidais dans l'ombre, sans me soucier véritablement de leurs sentiments. Je comprends qu'il faisait pareil avec ses camarades.

- Elle est morte, s'emporte Jude. Ce que j'ai fait n'avait aucun sens au final. Ils ont refusés de lui donner des médicaments.

Je relève la tête. Encore une fois, j'ai la preuve de l'horreur de notre société.

- Je suis désolé, soupire Elias. Moi, je me suis enrôlé pour elle, pour Lou.

Je le sais et pourtant, l'entendre le dire encore une fois me procure toujours un étrange sentiment. 

- Je suis parti aussi pour elle. Et puis, on a retrouvé ses parents. Et ils m'ont fait une place dans leur communauté. Un endroit où on partage tout, où les malades ne sont pas laissés de côté. Ce qu'ils voulaient, c'était en faire de même pour tous le monde. Mais Costa les a empêché. C'est pour ça qu'ils ont construits la communauté à l'extérieur. Et si on laisse le commandant faire ce qu'il veut, comprend bien que les choses ne changeront pas. Elles empireront. Il se fout de tout le monde. Il n'y a que sa petite personne qui compte. 

Le garçon ne répond pas. De là où je suis, j'entends sa respiration, légèrement saccadée, comme s'il se retenait de pleurer.

- Aide-nous à sortir. Rejoins-nous. Faisons en sorte que ce qui est arrivé à ta mère n'arrive plus jamais.

Nous sommes tous suspendus, en attente de sa réponse. Mais la porte s'ouvre de nouveau avant qu'il ne puisse répondre.

- Le petit Carl s'en est allé, annonce Costa. Demain, on passera au joueur suivant !

- Espèce de psychopathe, hurle ma mère au bout du couloir.

Le rire du commandant lui répond.

- Toi, retourne à ton poste. On va leur laisser la nuit pour réfléchir !

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