Chapitre 6 - Partie 2

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- Tu comptes vraiment me suivre toute la journée ?

- Ma journée est toute à toi !

Je poussais un long soupir.

Elias n'avait pas mis longtemps à se réveiller. Mais je n'étais plus sur mon matelas. J'étais partie récupérer certains des objets que j'avais mis de côté durant ma dernière visite. Ce qui m'avait valu de l'entendre m'appeler comme un forcené. Je dois l'avouer, j'ai eu un étrange sentiment de satisfaction en l'entendant. Enfin, il n'avait pas eu longtemps à chercher, puisque j'étais quelques mètres derrière lui. J'avais continué à le laisser piller ma réserve de nourriture pour le petit déjeuner. De toute manière avec ce que j'avais récupéré cette fois-ci, j'allais pouvoir refaire mes stocks. Nous avions donc repris le chemin de la maison. Enfin de ce qui y ressemblait. Je m'étais même amusé de le voir passer sous la grille. Il était loin d'avoir la même carrure que moi. Je me rendis d'ailleurs compte qu'il avait pris en muscles ces derniers mois. Ce qui lui allait plutôt bien. Enfin si j'en avais quelque chose à faire. Et maintenant, il continuait de me suivre. Ce qui ne m'arrangeait pas du tout. Je le regardais avec une moue boudeuse tout en jouant avec mon bracelet autour de mon poignet.

- Je dois faire ma tournée, si tu es là mes clients refuseront de faire du troc avec moi.

Pas la peine d'y aller par quatre chemins, il savait parfaitement ce que je faisais.

- Ca peut attendre demain, non ?

Je fronçais les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir.

- Passes la journée avec moi, Lou, reprit-il d'une voix douce, presque suppliante. Viens voir que je suis toujours le même, que je n'ai pas changé.

Je triturais un peu plus mon bracelet. À croire que je venais de me découvrir un tic de nervosité. D'ailleurs son regard suivit mes mains, fixant mon cadeau. Il était sûrement en train de se rendre compte que je ne l'avais pas hier. Que je n'avais jamais porté de bijou.

- Pourquoi c'est important pour toi que je vois ça ? On a tout simplement deux vies différentes maintenant.

- Sûrement parce que je veux te garder dans la mienne.

Je sentis mon cœur s'accélérer. Ils venaient de dire exactement ce que je voulais entendre. Sans jamais l'avouer. Je détournais le regard, incapable de soutenir le sien.

- D'accord. Mais une seule journée.

Je risquais un coup d'œil dans sa direction. Il affichait un sourire victorieux qui me faisait déjà regretter ma décision. Je n'eus pourtant pas le temps de changer d'avis qu'il m'attrapa par la main et m'entraina avec lui.



Il était finalement tard quand je regagnais ma chambre. La journée avait semblé se dérouler comme dans un rêve. Ou comme dans le passé. Elias s'était comporté comme le meilleur ami que j'avais un jour eu. Il m'avait entraîné vers les lieux emblématiques de notre enfance. Je m'étais même surprise à rire avec lui. Mais tout avait disparu quand un de ses collègues avaient débarqués, lui demandant de le suivre de toute urgence. J'étais vite partit, lui disant à peine au revoir. Il avait presque réussi à me faire oublier la réalité.

J'étais finalement arrivé dans une chambre plongé dans le noir. La plupart des enfants étaient endormis. Je me dirigeais directement vers mon lit. J'aurais pu le faire les yeux fermés. Je me déshabillais rapidement, me contentant de garder mon t-shirt et ma culotte pour me glisser sous les couvertures. J'attrapais le journal et ma lampe torche et la couverture sur la tête, je lu enfin les mots de C.C..

Un sourire se dessina rapidement sur mes lèvres en lisant ses mots. Je restais un moment à regarder la photo coller au journal. La boutique était si différente. Mais ses mots étaient encore le plus important. Sa vie avait beau être radicalement différente de la mienne, j'avais vraiment l'impression de découvrir une amie en elle. Ou peut-être que je reportais la perte d'Elias dans ma vie sur elle, je n'en savais rien. Dans le fond, je m'en moquais. Je voulais juste lui répondre. J'attrapais alors mon crayon.

C.C.

N'aie pas honte d'avoir ta vie. Ton monde est ainsi et le mien est différent, c'est tout. Je ne me considère pas comme malchanceuse non plus. Après tout, je suis en bonne santé et je ris. La honte n'a pas avoir sa place dans ta vie. A la place, profites de ce que tu as pour moi aussi. Je me demande de plus en plus comment notre monde a fait pour basculer comme ça. Je sais à peu près ce qui c'est passé, mais jamais personne ne m'a expliqué ce qu'en était le déclenchement.

J'aimerais pouvoir te faire un cadeau moi aussi, mais je ne pourrais jamais t'envoyer un objet en sens inverse. Ils ne peuvent pas remonter le temps. Il n'y a que mes mots qui puissent le faire de toute évidence. Alors considères mes mots comme étant ton cadeau à toi. Bon, je sais, c'est pas terrible, mais c'est tout ce que j'ai à offrir.

Je suis contente de voir que tu comprends mon sentiment envers Cora. En ce moment, en dehors de toi, elle est la personne la plus proche de moi. Je ne sais toujours pas quoi penser d'Elias. Si chez toi s'engager est signe ce courage, chez moi c'est plutôt l'inverse. On choisit de devenir militaire pour avoir la paix, pour se mettre sous la sécurité du gouvernement. Ou parfois pour avoir le plaisir de faire souffrir les yeux. Mais rien de tout ça, n'est le Elias que je connais.

J'ai passé la journée avec lui aujourd'hui. Il n'a pas voulu me laisser quand nous sommes rentrés de la boutique. Il a dit vouloir passer la journée avec moi, vouloir me montrer qu'il était toujours le même. Alors je l'ai suivie. Je voulais tellement y croire. Et j'y ai presque cru. J'ai passé une excellente journée. J'ai cru retrouver mon meilleur ami. Puis, il a fallu se souvenir qu'il était un militaire maintenant. Et je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Aucune des raisons que je t'ai cité ne colle au Elias que je connais. Je suis perdue, C.C.. Complètement. Et je déteste ça.

Visiblement tu comprends ce sentiment avec Gabriel. Tu crois que les garçons ont pour vocation sur Terre de vouloir nous rendre complètement folle ? En tout cas tu dis qu'Elias doit tenir à moi. Tu as peut-être raison, je n'en sais pas vraiment grand chose. Mais de mon côté, de ce que tu me dis, j'ai l'impression que Gabriel fait très attention à toi, pour remarquer les changements chez toi. Elias a fait la même chose, je l'ai vu regarder mon bracelet bizarrement, mais il n'a rien dit. Sans doute parce qu'il sait que je risquerais de l'envoyer bouler... Mais pour en revenir à toi, j'ai l'impression qu'il se comporte différemment quand vous êtes seuls, que quand il y a du monde. Peut-être qu'il veut cacher son attachement pour toi aux autres ?

J'espère que tu pourras vite revoir ta mère. Mais je comprends quand tu dis que tu créés des barrières autour de toi. Je fais de même. Je dis par exemple à tout le monde que je me fiche de mes parents, de ne pas les connaître. Alors que c'est tellement loin de la vérité. Je ne donnes à personne mon nom de famille, pour faire croire que n'y tiens. En vérité c'est l'inverse. C'est tout ce que j'ai d'eux. Alors je le garde précieusement en moi, comme un secret jalousement gardé. Comme le journal. Peut-être que je te le dirais à toi. Un jour.

Ta photo est génial ! C'est impressionnant de m'imaginer la boutique comme tu la connais toi. J'irais me renseigner auprès d'Ettie pour savoir comment on fait. Peut-être que je parviendrais à t'en prendre une. Que voudrais-tu voir ? La boutique aussi ? Ma chambre ?

Tu crois que je pourrais voir à quoi tu ressembles comme ça ?

J'ai hâte de te lire de nouveau.

Lou.

P.S. : c'est quoi un Louis d'or ?

Je décollais alors la photo du journal avant de le refermer. Je restais à la fixer un moment, m'imaginant la vie dans la vie. J'entendis bien la porte de la chambre s'ouvrir et se refermer, mais je n'y prêtait pas attention. Surement un orphelin qui rentrait. Après tout, nous étions des gamins livrés à nous même, bien sûr que nous sortions en pleine nuit. Et pour l'avoir fait très souvent, je ne m'en souciais pas du tout. Sauf quand on tira subitement la couverture au dessus de ma tête.

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