Le plan du moine

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     Sans perdre de temps, Zasanjal enchaîna :

     « Réflexes de Serpent, sortez face au Moine Mystérieux, et que l'Unique soit votre juge. »

     Mian-Meh se tourna vers le trône de la tarentule.

     Ilsifa se leva entre les mandibules de pierre et descendit les quelques marches qui réhaussaient son siège. Elle paraissait plus circonspecte que lorsqu'Hoh-Yawaoh s'était avancé un peu plus tôt. Mian-Meh laissa un sourire glisser sur ses lèvres et s'estomper dans sa concentration.

     Tellement simple de se mettre à la place d'Ilsifa. Même si c'était une femme... Il la connaissait depuis longtemps. Il l'avait rencontrée pour la première fois dans l'enfance, alors qu'elle accompagnait son père en visite à Salasala. Il la revoyait descendre de son palanquin, grande et gauche, bien qu'elle ait alors déjà acquis son nom. Lui-même se tenait derrière son propre père qui recevait les invités, aux côtés de son frère et sa sœur. Le regard indifférent d'Ilsifa avait survolé Mayola puis Mian-Meh, avant de s'arrêter sur Marfil. Il ne s'en était plus jamais détourné. Pour Marfil, Ilsifa avait damné son âme. Certes, depuis sa mort, elle regrettait certains agissements et faisait pénitence. Mian-Meh sourit à nouveau. Le repentir des pécheurs attestait la rectitude de la voie.

     Il ramena les anneaux de son arme sur son bras, prêt à lancer. Il n'avait pas l'intention de faire durer ce combat. Devant lui, Ilsifa dégainait une lame à son image, longue et sèche. Comme lors de la dernière réunion, elle avait les cheveux tressés de fils d'or et portait des poignets de force. Sa robe, fendue sur les côtés, laissait apparaître un pantalon resserré en soie noire.

     Mian-Meh remit le banc de piranhas en mouvement, cette fois avec une lenteur délibérée. Il avait conscience qu'Ilsifa, avec son arme de poing, devait forcément s'approcher pour l'affronter. Il pouvait certes, d'un coup, lui arracher son épée et clore le duel. Mais les autres dirigeants désiraient certainement un peu plus de spectacle.

    Ilsifa se mit en mouvement tout à coup, avec une vivacité surprenante. Ses pieds couraient sur le sol, très vite, à petits pas irréguliers. Elle changeait de direction presque à chaque seconde. On eût dit une araignée à taille humaine. Elle agitait son épée de tous les côtés, semblait se battre dans le vide. Pourtant plusieurs fois on entendit sa lame, éclair fulgurant, claquer contre la yatsiwahi.

     Mian-Meh la laissa faire, avant de juger que ses homologues en avaient assez vu. Tout près de lui, Ilsifa guettait l'ouverture qui lui permettrait d'approcher son épée d'un point vital. Mian-Meh ramena ses bras vers lui et laissa son arme retomber brusquement. La lame passa devant la figure concentrée d'Ilsifa, et les anneaux s'enroulèrent autour de son épée. Sans donner de mou à la chaîne, Mian-Meh recula d'un bond. L'épée échappa aux mains d'Ilsifa et tinta sur le marbre.

     Elle n'en fut pas déstabilisée - c'était ce qu'avait prévu Mian-Meh. D'un réflexe, elle tira de sa ceinture une sorte de petit poignard à la lame bifide, légèrement recourbée comme les crochets d'une araignée venimeuses. Dans le même mouvement elle sauta, très haut, par-dessus la yatsiwahi encore abaissée.

     Mian-Meh la laissa venir à lui, leurs regards s'accrochèrent.

     « Marfil », lâcha-t-il dans un souffle.

     Il avait les mêmes yeux que son défunt frère. Bleu marine, très rares chez les Sozyès - de l'authentique lignée du Piranha, disait-on.

     Ilsifa cilla. Mian-Meh sut que le temps d'une fraction de seconde, sa vue s'était troublée. À ce niveau, une inattention, aussi infime fût-elle, ne pardonnait pas.

Complainte d'une fresque oubliée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant