La surface du lac vola en éclats. Un élan venu de ses tréfonds la projeta en mille fragments vers le ciel. Le Farle fut subitement entraîné vers l'eau tourbeuse. La surprise fit tressaillir la main de Shand-Zang ; le carreau bondit hors de l'arbalète, siffla et ne perfora que les flots.
Le tueur se redressa avec un juron. Envahi par une sourde frayeur, Fuzal se mit à genoux à son tour. Un crocodile avait jailli du trou d'eau et attrapé le Farle par le bras. N'était sa main droite crispée sur une des racines de l'arbuste à ses côtés, il aurait été emporté. Fuzal plaqua ses doigts contre sa bouche sans parvenir à étouffer un cri.
Affalé dans la boue, écartelé entre le reptile et l'arbuste, le Farle leva les yeux vers le monticule où tous se relevaient. Malgré sa carrure impressionnante, et la petite taille du crocodile, il peinait à résister à la traction. Il ne faisait aucun doute que le saurien finirait par l'emporter.
Sa contrariété effacée par la cruauté du spectacle, Shand-Zang remit son arbalète dans son dos. Un sourire ravi lui découvrait les gencives. Il adressa un salut de la main au Farle.
" Belle journée, n'est-ce pas ? " lui cria-t-il.
Trépignant d'une joie malsaine, il donna ensuite une tape sur l'épaule d'Astayâr, le représentant du clan du Caïman.
" Bravo ! Ton frère a bien travaillé ! "
Puis il se retourna à nouveau vers le Farle :
" Tu l'as bien cherché ! Tu aurais mieux fait de rester dans ton Empire ! "
Olfiyûr hocha la tête. Glacé d'horreur et d'incompréhension, Fuzal les regarda les uns après les autres. Tous contemplaient la scène sans bouger, le sourire aux lèvres ; à l'exception de Nilani qui paraissait un peu contrariée, mais qui ne faisait pas mine d'intervenir pour autant. Shand-Zang lança de nouveaux quolibets au Farle et Olfiyûr se joignit à lui, se moquant de sa peau claire rougie par l'effort et le soleil.
" Au moins nous voyons la couleur de son sang ! Parce que je ne crois pas que ce crocodile nous en laissera un morceau !
- Au moins il disparaîtra complètement, comme s'il n'avait jamais existé !
- Si seulement il n'avait jamais existé, lui et tous les autres ! Allez, frère du Centre ! Bouffe-le !
- Qu'en dis-tu si nous pariions ? Cinquante coquillages verts qu'il ne tiendra pas plus d'une minute encore !
- D'accord, mais montre-moi tes coquillages d'abord. S'ils sont beaux, je veux bien parier cent. "
Dans la tête de Fuzal, une tornade se levait. Logique, raison et émotions se fracassaient les unes contre les autres en une tempête destructrice. C'était comme si, après avoir aperçu un beau tableau brillant, on en avait peu à peu modifié les détails pour le transformer en un monde affreux et sordide. Il sentait son cœur trembler dans sa gorge, il peinait à respirer. Il dû s'y reprendre à deux fois pour murmurer :
" Mais... il faut l'aider ! "
Les cinq paires d'yeux le clouèrent à sa place comme un piquet de clôture.
" Qu'est-ce que tu dis, toi ? " s'ébahit Olfiyûr.
Il le dévisagea avec incrédulité puis éclata de rire.
" L'aider ? Tu as perdu la tête ?! À l'instant on allait le tuer à l'arbalète, qu'est-ce que ça change qu'il meure comme ci ou comme ça ? Pourquoi tu veux l'aider maintenant ?

VOUS LISEZ
Complainte d'une fresque oubliée
AventuraUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...