La petite pièce camouflée derrière les trois drapeaux bleus n'avait pas révélé son secret à Eljad ben Samora.
Affalé à l'intérieur, à même le sol, il fixait l'encadrement ouvragé de la porte d'où jaillissaient les derniers éclats du crépuscule. Les rayons rougeoyants qui rasaient la pierre grisâtre, presque jusqu'à ses pieds, lui semblaient une cruelle allégorie de sa situation. Bientôt l'obscurité tomberait. Sa conscience serait-elle emportée avec ?
Il était au bout de ses forces. Il ne parvenait même plus à définir précisément à quand remontait sa fouille de la cellule du Moine Mystérieux. Trois semaines, au moins. Peut-être plus. Il avait pourtant suivi les conseils du garçon rencontré là-bas ; celui qui lui avait indiqué l'endroit d'une sortie dérobée. Il avait fouillé la salle en question, qui d'ailleurs ne contenait qu'un autel et des bacs surchagés de plantes grasses aux odeurs écœurantes. Mais malgré ses recherches frénétiques, il n'avait trouvé ni issue ni passage.
Il avait alors cherché ailleurs, songé à partir comme il était entré, en bernant les gardes par de belles et habiles paroles. Mais il avait finalement reculé davant le risque, à présent qu'il était porteur d'un secret propre à bouleverser tout le continent.
Il s'était à maintes reprises perdu dans ce palais labyrinthique, saisissant d'illogisme et de désorganisation, lors de son retour à la pièce prétendumment salvatrice. Et son plan s'était retourné contre lui. Certes, les Sozyès avaient commencé à mourir en nombre, victimes de son poison. Mais lui-même n'avait eu alors plus rien à manger et à boire. Effaré à l'idée de chuter dans le tombeau qu'il avait lui-même creusé, il avait survécu en se nourrissant de fruits, et en buvant l'eau d'une unique fontaine qu'il était sûr de ne pas avoir empoisonnée.
Mais il arrivait à présent à ses limites. L'inanition l'avait traîné jusque-là, derrière les bacs de plantes, dans cette insignifiante petite pièce qui abritait pourtant la voie de son salut.
Les imposantes corolles des fleurs se découpaient à contre-jour, devant la porte ouverte, sur le ciel écarlate. Dans l'esprit embrumé d'Eljad, elles prenaient des allures fantasmagoriques. Elles lui évoquaient des gueules noires dégoulinantes de sang. Il avait l'impression qu'elles le guettaient, dans l'attente du moment fatidique.
Mais leurs formes menaçantes s'évanouirent soudain devant une autre plus effrayante encore. Une silhouette venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte, occultant les dernières lueurs du jour. Le cœur d'Eljad faillit s'arrêter. Il le sentit se contracter comme un nœud trop serré tandis qu'une poigne de glace lui broyait les entrailles. Était-ce donc là la Mort, venue chercher son âme ? Il ne pouvait espérer la repousser alors qu'il gisait ainsi, faible et démuni.
Puis, dans un élan inverse mais tout aussi douloureux, son cœur se regonfla, presque à en exploser. Il reconnaissait cette silhouette moulée dans une tunique bien ajustée, ces épaules un peu arrondies, cette taille étroite, ces cheveux aussi lisses qu'un bol retourné. L'obscurité ne lui permettait pas de distinguer la couleur des yeux, mais il se rappelait leur intensité, leur éclat aussi vert que celui de plantes au soleil. C'était le garçon de l'autre fois, celui rencontré chez le Moine Mystérieux.
Eljad faillit le héler à son secours, mais un instinct inexplicable referma sa bouche déjà ouverte. Peut-être était-ce le contrastre entre sa propre faiblesse et la démarche féline du garçon ; le rapport de force était désormais tellement en sa défaveur qu'il valait mieux se taire.
Il se redressa néanmoins sur un coude pour regarder par-dessus le rebord des bacs en pierre, au travers des tiges entrelacées. Le garçon s'était agenouillé devant l'autel. Ce dernier se constituait d'un lourd bloc cubique en marbre , surmonté d'une plaque en or gravée de symboles ésotériques. Eljad avait bien tenté de la manœuvrer, sans résultat.
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Complainte d'une fresque oubliée
AventuraUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...