Nicia allait et venait dans la petite clairière. Ses petits pas, nerveux et légers, froissaient à peine les feuilles mortes. À chaque fois qu'elle passait dans une trouée ensoleillée, son arme levée jetait un éclair rassurant.
Pourtant, son inquiétude ne paraissait pas faiblir. Elle ne cessait de scruter les alentours, sur le qui-vive, à l'affût du moindre bruit et du moindre mouvement. Déjà oppressé, Fuzal sentait cette crainte inhabituelle le gagner de façon insidieuse et irrépressible.
Il était toujours assis au pied du même arbre, les bras ramenés autour des jambes. Près de lui, Nilani n'avait pas repris conscience, elle marmottait parfois des mots indistincts. La gorge nouée, Fuzal fixait Nicia pour se raccrocher à quelque chose, même si la silhouette gracile de la vieille dame ne lui avait jamais paru si fragile. Mais il se rappelait son assurance lorsqu'elle avait tenu tête à Shand-Zang quelques nuits plus tôt ; et la façon dont elle tenait son arme, les mains bien serrées sur la hampe, la lame brillante légèrement inclinée, témoignait qu'elle avait été une habile combattante.
Avait été. Le serait-elle encore assez en présence d'un danger ? Tout dépendrait certainement de la nature du danger. Une atmosphère lourde pesait, rendait la chaleur étouffante et la respiration difficile. Fuzal avait envie de crier pour expulser cette tension insupportable, mais sa gorge était trop contractée pour émettre le moindre son. Il avait le pressentiment d'une catastrophe, sans savoir d'où elle allait tomber.
Elle vint directement face à lui, dans un bruit de feuilles piétinées. Nicia tressaillit, se retourna. On ne voyait rien encore, mais le son s'amplifiait. Elle jeta un regard à Fuzal.
" Lève-toi, gamin, et prépare ton poignard. Je ne sais pas ce que c'est, mais sois prêt à te défendre. "
Il obéit par réflexe, les gestes maladroits et effrayés. Il serra les deux mains autour de la garde aux lapis-lazulis, comme un noyé se raccrocherait à une corde de sauvetage.
L'expectative anxieuse ne dura pas. Les taillis s'écartèrent devant la charge de l'agresseur. Fuzal s'attendait à des lions, des hyènes, éventuellement des lycaons... c'était un homme. Un Farle, peau blanche, cheveux orangés, grande épée brillante.
La vieille Nicia eut le mérite de ne pas hésiter. Elle s'élança, l'arme haute. Le Farle s'arrêta à peine. Il la balaya d'un coup puissant. Le bras affaibli par les ans plia tel un brin d'herbe soufflé par le vent. Le Farle ramena le sien en un revers irrésistible. Une grande giclure d'un carmin obscène, et la tête au fichu rouge tomba d'un côté, le corps qui l'avait soutenue de l'autre.
Fuzal était resté debout contre le tronc d'arbre, trop choqué pour songer à quoi que ce soit, même à s'enfuir. Déjà le Farle se ruait sur lui comme un ouragan. Aucune humanité n'habitait plus ses yeux bruns. Seules y tempêtaient une férocité, une haine irraisonnée et irraisonnable. Fuzal comprit que toute supplique serait vaine. Derrière ces yeux-là, il n'y avait que la mort.
Il rentra la tête dans les épaules. L'épée tomba avec un bruit affreux contre le tronc, projeta des éclats d'écorce. Un cri de stupeur, et elle dégringola sur les racines. Le Farle bondit en arrière.
Fuzal leva les yeux pour croiser les siens. Leur éclat meurtrier se transformait, se dissolvait, englouti par une incompréhension, puis une horreur semblables à celles aperçues plus tôt sur le visage de Nilani Rire de Lame.
Ils baissèrent les yeux en même temps, et Fuzal réalisa alors que ses mains le brûlaient - elles étaient toutes rouges. Il lâcha son poignard ensanglanté, secoua ses mains pour effacer cette teinte effroyable, regarda à nouveau en direction du Farle. Son genou droit s'était dérobé sous une plaie à l'aine. Les deux mains plaquées dessus ne parvenaient pas à contenir le flot écarlate.
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Complainte d'une fresque oubliée
AventuraUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...