Le facteur Dabiang (I)

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« Si c'est vrai... est-ce que nous en informerons les Farles ? » chuchota Eljad.

Attia poussa un grognement mécontent. Son frère lui avait déjà posé la question plusieurs fois, et il ne savait que répondre. Au fond de lui, l'idée lui déplaisait. Il exécrait les Farles depuis que ceux-ci l'avaient rejeté de leur armée. Mais si cela pouvait contribuer à affaiblir les Sozyès...

« Ce n'est pas une décision à prendre seuls, grommela-t-il finalement du coin des lèvres. Commençons déjà par vérifier l'exactitude des plans ! Ensuite, nous verrons avec notre chef et les autres représentants. Et ne parle plus de cela à présent ! Tu vas nous faire repérer. »

Il faisait allusion à leurs compagnons de voyage, trois hommes en route, comme eux, vers la montagne aux Mille Arêtes. Pour l'heure, ceux-ci s'affairaient à remettre la pirogue à flots. L'aube pointait à peine, tout juste annoncée par une pâleur à l'est.

« Dépêchez-vous ! s'écria l'un des Sozyès en se retournant. Que nous profitions des heures fraîches pour avancer un peu plus vite ! »

Eljad rassembla un peu de terre meuble pour étouffer les résidus de leur feu nocturne. Derrière lui, Attia ramassa son paquetage. Son espadon s'y trouvait dissimulé, enveloppé de tissu.

Soudain saisi d'un songe obscur, Attia observa les trois Sozyès monter dans la pirogue. S'il les éliminait... cela allégerait l'embarcation, et lui permettrait d'aller plus vite ?

Mais il repoussa l'idée en se rappelant le peu d'entrain de son frère pour l'exercice physique. S'ils demeuraient seuls, ce serait à lui, Attia, de conduire la pirogue jusqu'à la montagne. En outre l'un de leurs compagnons connaissait bien le trajet, les raccourcis et les traîtrises du fleuve. Ils avaient besoin d'eux. Attia décompressa d'une longue expiration.

Patience... Patience. Tout arrivera en temps voulu.

°°°

Raerus marchait d'un pas vif sur les chemins dallés du jardin palatial. Il se rendait aux terrains d'entraînement derrière la caserne, il avait fait réserver une palestre pour s'entraîner en prévision de la guerre à venir. En tant que général, il se tiendrait en tête des troupes. Il n'était pas question que ses fonctions de gouverneur le poussent à s'empâter, ou il le paierait cher. Il tenait en outre à tester le handicap de sa blessure au cou.

De plus la convalescence l'avait amaigri. Il ne s'en était pas vraiment rendu compte jusqu'à enfiler son uniforme. Sa cuirasse lui paraissait plus large, il avait fallu resserrer les sangles à leur maximum.

Il pressa l'allure. Le soleil de la matinée montait et il ne voulait pas perdre de temps. Unisson, son étalon de guerre préféré qu'il avait fait venir de l'Empire, devait être harnaché. La bête était impétueuse et n'aimait pas attendre. Raerus sourit à l'idée de le monter à nouveau. L'entraînement le défoulerait et lui ferait oublier les complots politiques.

« Votre Excellence ! »

Il se retourna avec une crispation des maxillaires. Combien de fois Valériane s'était-elle hâtée ainsi derrière lui, pour lui annoncer quelque nouvelle - mauvaise, en général ?

Elle le rejoignit en quelques enjambées.

« Pardonnez-moi, votre Excellence, il fallait que je vous voie.

- Le conseil est pour demain, ça ne peut pas attendre ?

- Je voulais vous en parler en privé, votre Excellence... C'est à propos de Dabiang Trois Griffes, vous savez, le chef de la sécurité de la région Nord, qui détiendrait des informations importantes. J'avais ordonné de le faire questionner sans relâche.

Complainte d'une fresque oubliée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant