Bien loin de Salasala, debout sur le seuil d'une forge miteuse, le mercenaire Attia ben Samora transpirait à grosses gouttes - sans s'en apercevoir. Il regardait avec fascination le métal chauffé à blanc que l'on martelait et martelait encore.
« Quand tout cela sera-t-il prêt ? demanda-t-il.
- Pas avant plusieurs semaines, répondit le forgeron avec l'air excédé de qui a déjà répondu dix fois à la même question.
- Je peux y mettre le prix, insista Attia.
- Cela n'y changera rien, répliqua l'ouvrier d'un ton définitif. Il vous faut patienter. »
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D'un mouvement méticuleux, lent et régulier, Rémus aiguisait son épée.
Dressés autour de lui comme des gardiens, les grands eucalyptus murmuraient, apaisants. La forêt était calme, verte, brillante; et Rémus, tout en se concentrant sur son geste, savourait une paix qu'il n'avait pas goûtée depuis longtemps.
Il se trouvait pourtant encore dans le camp de fortune qu'il avait rejoint quelques jours plus tôt. Il avait juste contourné le gros rocher pour s'isoler un peu des autres; des regards noirs de Mayola, la prisonnière; des récriminations furieuses d'Athlos, qui voulait toujours secourir sa femme; et des va-et-vient de Tigris, l'ancien gladiateur, qui s'ennuyait à ne rien faire. Rémus aussi trouvait cette attente interminable, mais il n'avait pas le choix. Cyrus était parti collecter des informations à Salasala, et il fallait patienter jusqu'à son retour. Ce qu'il révèlerait serait déterminant quant à la conduite à adopter.
Cyrus avait en effet, au fil des années, tissé un réseau d'informateurs dans la capitale sozyès. En les interrogeant, il sonderait l'humeur des dirigeants et leur éventuelle volonté d'engager des négociations pour récupérer l'une des leurs.
Jugeant sa lame assez affûtée, Rémus l'essuya délicatement et la rangea dans le fourreau posé à ses côtés. Au même moment, la silhouette d'Antémis, son alter-ego, apparut parmi les arbres. Nimbé par les rayons d'or qui tombaient entre les feuilles, il était plus beau que jamais. Rémus lui adressa un franc sourire. Il l'aimait comme un fils.
« Rémus ! Viens vite, Cyrus est arrivé ! »
Rémus bondit aussitôt, toute tranquillité envolée. Il se précipita dans la clairière. Cyrus se trouvait bien là, enfin ! La fatigue creusait son visage déjà mince, et son teint pâle accentuait l'intensité de son regard. Mais Rémus n'en avait cure.
« Cyrus ! Il était temps que tu reviennes, allons, qu'as-tu appris ?
- De mauvaises nouvelles, répondit l'autre d'emblée. Il est inutile de songer à effectuer un échange de prisonniers, quatre des nôtres sont morts. »
Sans vouloir se l'avouer, Rémus se sentit soulagé par cette information. L'idée d'échanger les prisonniers lui avait déplu dès le début, et il n'y avait rien d'autre à faire pour eux. Dès l'instant où ils avaient été capturés, ils étaient condamnés. Lui l'avait compris très vite, mais maintenant tout le monde était obligé de l'admettre. Il jeta un coup d'oeil à Athlos, qui se tenait droit comme une statue, les muscles tellement tendus que Rémus les voyait tous saillir.
« Et ma femme ? » dit-il dans un souffle.
Cyrus se contenta de détourner le regard, ne voulant sans doute pas énoncer une vérité trop douloureuse. Mais soudain, lâché comme un taureau furieux, Athlos se rua sur lui et l'empoigna par la gorge.
« Ma femme, je te dis, réponds-moi, triple imbécile !
- Elle est morte », hoqueta Cyrus.

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Complainte d'une fresque oubliée
AventuraUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...