La Furie Agenouillée

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       L'après-midi descendait quand Valériane franchit la porte nord de Sucodis. Le soleil avait disparu derrière de longs nuages bleutés et un air agréable, un peu rafraîchi, soufflait sur la capitale.

     Derrière Valériane, Méro pressait son cheval entre les badauds pour la rejoindre.

       « Attends ! Pourquoi tu es en rage ? Je n'ai rien compris ! C'est quoi cette mission secrète ? Ce vieil insecte de Dabiang a parlé ? Il faut aller à la montagne aux Mille Arêtes pour vérifier que les Sozyès veulent y caser des troupes ?  »

      Sous la capuche de sa grande cape brune, Valériane lui retourna une figure sarcastique.

      « Bah, tu as tout compris, on dirait. Et tu ferais mieux de ne pas parler si fort, ou ça n'aura plus rien de secret. Et tu étais où au fait, cet après-midi ? Raerus n'était pas content que tu ne sois pas disponible pour t'expliquer tout ça. Je lui ai dit que tu effectuais une tournée d'inspection dans les bas-quartiers.

    - C'est bien ce que j'étais en train de faire.

    - Sauf que tu n'étais pas censé la faire la semaine dernière, cette tournée ?

    - Non, je n'ai pas pu. Il y avait du spectacle à l'amphithéâtre, tu sais, cinquante taureaux contre vingt tigres. C'était incroyable.  »

     Valériane lui jeta un regard d'avertissement.

      « Fais gaffe, Méro. Un jour, Raerus va vraiment en avoir marre.  »

     Son compagnon repoussa la menace d'un moulinet désinvolte.

      « Mais non ! Oublies-tu que je suis un Thélae ? Raerus ne peut pas se passer du soutien de ma famille. Et encore moins de moi, en ce moment, alors qu'il est entouré de traîtres et de conspirateurs. Il n'y a guère plus que nous en qui il ait confiance.

    - Eh bien tu...  »

     Méro clôtura le sujet d'un geste péremptoire.

      « Oui, Valériane. Et ce pigeon, donc, c'est pour quoi faire ?  »

     De l'œil, Valériane vérifia que la petite cage de l'oiseau était bien arrimée derrière elle.

      « Pour prévenir Raerus. Si le vieil insecte a dit la vérité. »

     Méro approcha son coursier tout près du sien et se pencha vers elle.

      « Attends... Tu crois que Raerus va vraiment le libérer ?

    - Oh, oui. Je le crois, fit Valériane avec un rictus lugubre.

    - Mais... (Il la regarda à nouveau.) Ce type n'est pas normal... Il est dangereux. Si tu veux mon avis, il s'intéresse de trop près aux enfants.

    - J'ai remarqué, grinça Valériane.

    - Rémus va être dégoûté quand il va savoir qu'on a libéré un type pareil. Et qu'en plus on l'a envoyé dans l'Empire ! Dès qu'on reviendra, je contacterai quelqu'un là-bas. Pour, disons, écourter sa nouvelle vie. »

     Valériane se dérida enfin et ils échangèrent un sourire de connivence. Méro ajouta :

      « De toute façon, Clion y pensera sûrement. Il le fera, soyons tranquilles. »

°°°

     Raerus reçut Mayola la Furie Agenouillée dans son propre bureau. Il avait planifié cette entrevue avec le plus grand soin. Sur sa table de travail ne s'empilaient que les feuillets essentiels : le rapport des services de renseignements, le compte rendu de Valériane qui l'avait rencontrée avant lui, et une copieuse documentation sur la langue sozyès.

Complainte d'une fresque oubliée Où les histoires vivent. Découvrez maintenant