L'après-midi qui s'étirait, inéluctable, vers le crépuscule, plongeait les chambres de l'Auberge parfumée dans la pénombre. L'une d'elle avait son store de paille baissé, et la poussière voltigeait délicatement dans les rais de lumière dorée. Cette petite pièce n'était meublée que d'un hamac, où somnolait le poète Eljad ben Samora.
Soudain, on frappa à la porte et, sans attendre de réponse, une silhouette grande et massive occupa l'encadrement. Eljad se redressa mollement.
« Oukou ?
- Eljad, répondit l'aubergiste. J'ai ce que tu m'as demandé. »
Il déposa un javelot et un sac de cuir, dont s'échappèrent un casque ainsi qu'un fatras de tunique et petite armure de plates. L'uniforme d'un soldat sozyès ou, plus exactement, celui d'un garde du palais. Eljad sourit.
« Très bien... Nous allons pouvoir passer à l'étape suivante. Combien de temps reste-t-il avant cette fameuse fête des Ancêtres ?
- Cinq jours. »
Eljad sourit à nouveau, et se rallongea avec une satisfaction lascive.
« Parfait. C'est pour bientôt alors.»
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Debout au milieu du camp, dans les ombres des arbres allongées par le couchant, Rémus surveillait d'un œil critique le travail de ses subordonnés.
« Allez, les gars, dépêchez-vous ! Tout doit être fini avant la nuit ! »
L'obscurité descendait déjà sur la forêt, et les derniers rayons rouges la plongeaient dans une semi-pénombre pleine de mystère. Rémus avait tenu à ce que tout soit prêt pour lever le camp dès le retour de Cyrus, parti, comme convenu, rencontrer son informateur à Salasala. Il rentrerait ce soir, ou le lendemain matin au plus tard; aussi Rémus avait-il donné l'ordre de boucler les paquetages.
De plus Athlos avait regagné le camp au petit matin, sans un mot pour personne. Son uniforme, ses bras et même son visage portaient des traces de sang séché. Avait-il été attaqué, avait-il tué une bête ou, pire, voulu venger sa femme par le meurtre de Sozyès dans l'un des villages alentour ? Rémus avait préféré ne rien lui demander, mais il devenait urgent de partir.
Il l'observa qui astiquait le fourreau de son épée de façon exagérée et inutile.
Il ne fait que perdre du temps... Bon sang, j'ai envie de le secouer, mais ça se serait pire après ! Pourquoi réagit-il comme ça, ce n'est pas de ma faute si sa femme a été tuée ! Il aurait dû épouser une civile ! Et puis pourquoi s'est-il marié ainsi en secret, personne ne le savait, ça ne se fait pas... Il m'énerve.
Il allait lui lancer quelques mots bien sentis quand sa conscience l'interpella :
Et toi, comment réagirais-tu si Valériane mourrait ?
Un élan révolté lui souleva le cœur.
Hors de question que ça arrive avant qu'on soit mariés et qu'on ait vécu longtemps ensemble.
Il sentit sa conscience prête à lui renvoyer une nouvelle réflexion cynique, et il la fit taire avec la sensation de l'écraser d'un coup de talon. Il renonça toutefois à s'adresser à Athlos, et examina le reste du camp.
Les préparatifs étaient presque achevés, même les deux chevaux qui tracteraient le char étaient attelés. Tigris, l'ancien gladiateur, vérifiait leur harnachement. Rémus se sentit apaisé. Au moins, il pouvait compter sur cet homme-là, certes dur et plein de haine, mais qui savait se maîtriser et obéir aux ordres. De plus c'était un guerrier d'exception, qui avait affronté tigres, buffles et autres bêtes féroces. Il représentait un atout inestimable, surtout en comparaison des autres membres du groupe - notamment Antémis.
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Complainte d'une fresque oubliée
PertualanganUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...