" Est-ce vraiment nécessaire d'aller vérifier ? " geignit le poète Eljad ben Samora.
Son frère venait de le pousser à quitter Salasala, sans égard pour la chaleur écrasante de l'après-midi. Quitte à voyager, Eljad aurait au moins préféré attendre la fraîcheur du lendemain matin. Attia lui jeta un regard peu amène.
" Tu t'es vraiment ramolli en ville, Eljad. Nous autres gens du désert ne craignons pas le soleil. Il faut que je vois ça de mes propres yeux. Et quoi que nous décidions, je ne veux pas ajourner nos plans. Alors dépêchons-nous. "
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" Ah oui. Ça se présente mal, tout compte fait. "
Rémus ne répondit que d'une grimace sans équivoque. Oui, la situation ne leur était plus favorable. Ils avaient beau avoir été rejoints par le groupe de cinq agents envoyés eux aussi sur la piste des Sozyès, cela ne suffisait plus à leur octroyer un avantage décisif. En effet, bien qu'ils soient désormais dix hommes, ils comptaient trop de blessés pour espérer triompher des émissaires ennemis. En tout cas, pas sans énormes dommages collatéraux. Rémus se voyait déjà parmi les tués, et il n'avait pas envie de mourir dans ce coin perdu de l'Avant-poste. Envoyer ses hommes au combat sans les y précéder était inconcevable, or cette douleur à la hanche ne lui permettrait d'accomplir guère d'exploits. Le Fléau des Farles aurait tôt fait de lui loger un carreau dans le corps.
Rémus se rappela un instant ce mastodonte qui lui avait foncé dessus quelques nuits plus tôt. Un rhinocéros, avait dit Athlos. Rémus n'avait pas distingué grand-chose, mais le mal était fait. Il ne pouvait plus se battre correctement, Cyrus non plus, et maintenant Tigris... Il jeta un regard de biais à l'ancien gladiateur. Il l'avait échappé belle. Happé par un crocodile... Ce continent fourmillait vraiment de dangers abominables.
A-t-on vraiment besoin de conquérir cette terre, après tout ?
Tigris avait été soigné sommairement, mais les dégâts étaient considérables. Rémus doutait qu'il puisse conserver son bras, bien trop abîmé. Il faudrait certainement l'amputer avant que les chairs ne pourrissent. Son subordonné parvenait à demeurer stoïque, certainement grâce à son expérience de l'arène et des combats contre les bêtes féroces. Mais Rémus avait discerné la préoccupation et la douleur sur son visage lorsqu'ils lui avaient tant bien que mal bandé le bras.
La venue de cinq hommes supplémentaires, combattants de moindre envergure par surcroît, ne compensait pas ces coups du sort. Rémus les fixa les uns après les autres.
" Je crois que nous allons abandonner ce plan. De toute façon, les généraux sont avertis à présent. Ces Sozyès seront arrêtés à l'entrée de Sucodis.
- Quoi ?! bondit Athlos. C'est de la lâcheté ! Ils sont à notre portée, et on est plus nombreux ! "
Rémus s'efforça de contenir sa propre colère pour lui faire entendre raison.
" Nous sommes désormais, nous, plus à leur portée qu'eux de la nôtre ! D'après Tigris, ils disposent de deux tireurs, et nous d'aucun ! Si ça se trouve, ce sont eux qui sont en ce moment à notre recherche, et ils savent que nous avons un blessé et que nous ne pouvons plus nous déplacer aussi vite !
- On a vu de la fumée par là-bas avant de vous rejoindre, intervint un homme du second groupe. On s'est dit que c'était peut-être un piège pour nous attirer de ce côté, on n'a pas été voir de plus près...
- Vous avez bien fait, coupa Rémus. Leurs tireurs étaient certainement embusqués pas loin, si vous voulez compléter le tableau de chasse du Fléau des Farles... "
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Complainte d'une fresque oubliée
AventuraUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...