Les acqueducs s'étaient multipliés dans le delta du Tiwawa. Fuzal ne doutait plus à présent de se trouver en territoire Farle.
La vue du premier, au loin, en contre-jour d'un crépuscule rouge chargé de poussière, l'avait laissé subjugué.
Il avait fallu cependant cheminer encore, dévier toujours plus pour éviter les routes, les cultures et les villages de plus en plus nombreux. Ce souci de discrétion les avait entraînés dans les coins les plus sauvages de la brousse. Fuzal en gardait des images marquantes ; un marais couvert de plantes, calme sous le soleil, dont avait soudain émergé un énorme éléphant ; un troupeau de buffles en fuite - vagues noires de cornes et de sabots, de meuglements et d'odeur fauve ; ou encore leurs chevaux affolés, refusant de descendre dans un fossé - plein de lionnes embusquées, avaient-ils constaté après détour.
Mais à présent, enfin, Sucodis était proche ! Fuzal avait fini penser qu'ils n'y parviendraient jamais. Surtout quand la blessure de Nilani les avait obligés à un demi-tour... Il jeta un regard coupable à la jeune femme qui chevauchait devant lui, les rênes dans la main gauche. Il se sentait toujours responsable de la perte de son autre bras. Même si elle ne le lui avait pas reproché, elle ne lui manifestait plus la même sympathie qu'au début du voyage. Elle était distante, parfois hargneuse, souvent plongée dans d'obscures rêveries.
Mais au moins était-elle toujours vivante... Après sa blessure, son état avait pourtant empiré au point qu'ils s'étaient résolus à retourner à Huastahuan, la ville frontière. Olfiyûr Ruisseau d'Argent avait copieusement pesté contre ce retard, juré que si la jeune femme ne connaissait pas si bien l'Avant-poste, il l'aurait abandonnée à son sort.
Ils avaient pris chambre dans une auberge encore plus miteuse que la première, puis avaient quêté un guérisseur. Ils avaient déniché une femme entre deux âges, enveloppée de grands châles à l'odeur de brûlé. Elle était venue cinq fois et avait réclamé un prix exorbitant pour ses soins. Après une dispute qui avait failli faire couler le sang, elle avait claqué la porte avec force malédictions.
Était-ce la colère qui avait conduit Olfiyûr à baisser la garde ? Ou l'absence de Shand-Zang le Fléau des Farles ce soir-là ? Ou avait-il tout simplement cru que la guérisseuse revenait ? Lorsqu'on avait frappé à la porte, peu après son départ, il avait rouvert le battant d'un geste brusque. Aussitôt, un kandjar avait fusé vers sa gorge.
Comme un écho à ce souvenir, une volée de colombes paniquées s'arracha de la portion de fleuve qu'ils longeaient. L'espace manquait pour progresser sur la berge, et ils devaient se courber sous les arbres. Les sabots des chevaux clapotaient dans l'eau. Ce chemin, où plutôt cette absence de chemin, était ce qui leur avait paru le plus sûr pour s'approcher de Sucodis. D'après les cartes d'exploration de Nilani, ils atteindraient une sortie d'égout de la ville. De là, avait-elle assuré, il était possible de remonter jusqu'au port fluvial et de pénétrer ainsi discrètement dans la cité.
Le sauvetage de Nilani n'avait donc pas été inutile, même s'il leur avait coûté cher...
Un bond en arrière, réflexe prodigieux devant l'assaut du kandjar, avait évité à Olfiyûr une lacération mortelle. Mais aussitôt, trois individus patibulaires s'étaient rués dans la pièce. La lumière jaunâtre des deux lanternes, nichées dans des creux du mur, avaient accuenté leur mine sinistre, leurs haillons sales, et leurs armes au clair. L'un d'eux les avait scrutés avec un sourire avide.
« Ça sent les coquillages, par ici ! Donnez ! Vite ! Sinon... ! »
Un autre cependant avait repéré Nilani allongée sur sa paillasse, dans le coin le plus éloigné, toujours assommée par les potions de la guérisseuse.
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Complainte d'une fresque oubliée
PertualanganUne terre, deux peuples. Un nouvel affrontement se profile entre Sozyès et Farles. Les premiers règnent sur presque tout le continent ; les seconds, venus de par-delà l'océan, entendent le conquérir. S'ensuit une lutte acharnée pour la domination d...