La ballade de Camelot

Chapitre 17

Il avait recommencé à neiger au moment où la nuit avait déclinée, comme si l'univers entier s'amusait au plus haut point des malheurs de Petite-Vareuse. Collée au mur pour éviter du mieux qu'elle pouvait les allées et venues des commerçants qui rangeaient leurs échoppes pour la nuit, elle remontait sans entrain la longue rue principale de Hauss. Les flocons avaient beau être d'un blanc immaculé lorsqu'ils touchaient le sol, ils ne tardaient pas à être réduit à un petit tas de boue marronnasse et mouillée sous les pieds empressés des villageois.

"Qu'est ce que c'est moche." songea-t-elle en enjambant un tas de bouillasse particulièrement imposant et grumeleux.

Comment avait-elle put s'amuser là dedans ? Pourquoi cela lui avait-il parut si beau et si attrayant quand elle était avec Galahad ? Question idiote, elle savait très bien pourquoi. Lorsqu'elle avait été avec Sir Mordred et sir Galahad, tout avait l'air plus facile, plus beau, plus agréable. Rien que le fait de pouvoir entrer quelque part en ayant l'assurance de ne pas être jetée dehors à coups de pieds était un sentiment neuf.

Elle s'était sentie importante, mais finalement, c'était probablement son père qui avait raison : "Plus loin on reste de richards, mieux on se porte". On ne pouvait pas être importante quand on voyageait avec des chevaliers pareils, pas quand même eux ne faisait finalement pas si attention à vous. Messire Mordred avait essayé de la prévenir : ils ne vivaient pas dans le même monde.

-Concentre toi, maugréa-t-elle entre ses dents, incapable de garder ses pensées pour elle même On s'en fiche. On s'en fiche d'eux. On s'en fiche de Camelot.

Le soir avançait  et il fallait qu'elle trouve un endroit où passer la nuit. Hors de question de retourner aux appartements du fort de Hauss. Ce n'était pas particulièrement une question de principes. Petit-Vareuse était toujours encline à abandonner tout ses principes pour un repas chaud et un lit, mais chaque fois qu'elle songeait à se retrouver en face de sir Galahad, ses entrailles se contractaient d'angoisse. Des deux, elle avait pourtant été certaine qui c'était lui qui l'écoutait le plus.

-Concentre toi, s'exhorta-t-elle encore une fois, un peu plus haut cette fois sans pourtant que personne ne se retourne sur elle.

Elle pouvait essayer de trouver refuge dans la maison close de Siloé. Celle ci savait ce que c'était que d'être livrée à elle même, sans nul part où aller. Le soucis était plutôt Lorna, sa patronne. Hauss était une petite cité, et Petite-Vareuse allait sur ses quinze ans : elle n'avait pas envie de se retrouver emprisonnée dans un contrat contre son grès.

D'une main discrète et jetant des coups d'œil aux alentours pour s'assurer que personne ne regardait, elle tâta la bourse qu'elle avait au coté pour évaluer combien d'argent il lui restait de son travail à l'écurie. Elle pourrait surement se payer une place dans une auberge, mais elle devait rester prudente. Dans une ville de cette taille, on n'allait pas tarder à entendre parler de la gamine venu du Sud qui avait les poches pleines et qui n'était plus accompagnée de personne.

-Il va falloir que je retrouve Obéron, marmonna Petite-Vareuse en se collant un peu plus au mur.

C'était la pensée qui se faisait le plus entendre parmi toutes celles qui encombraient son crâne. "Je veux Obéron", réclamait tout son être, comme un enfant perdu. Il y avait toujours une toute petite part d'elle même, malgré toutes ses années, qui agissait comme la fillette qui avait quitté Uurhmynidd sans pouvoir s'arrêter de trembler. C'était elle qui sursautait lorsqu'on l'interpelait par surprise, celle qui restait paralysée dans le noir certaines nuits, la laissant les yeux grands ouverts mais incapable de bouger, celle qui était sans cesse à la recherche d'un endroit où se cacher. La fourrure d'Obéron avait toujours été la meilleure option pour ce dernier point.