Prologue

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La reine Guenièvre venait de donner une leçon de harpe à l'une des filles d'un chevalier de Camelot et elle traversait les couloirs du château pour retourner à ses appartements. La jeune élève n'avait guère fait beaucoup de progrès ce jour-là. Elle pinçait les cordes avec bien trop de rudesse et s'en plaignait beaucoup : "Comme j'aimerais avoir autant de grâce que vous madame, avait-elle soupiré. Personne au royaume ne joue de la harpe aussi bien que vous, j'en suis certaine !"

Cette agréable flatterie flottait doucement dans l'esprit de la reine qui laissa un sourire lui venir aux lèvres à son souvenir. Elle songeait joyeusement à ce compliment quand elle entendit quelques bruits. Cela ressemblait à deux petites voix d'enfant qui chuchotaient en tentant de ne pas se faire entendre.

Mais Guenièvre avait l'ouïe fine.

La reine de Logres tendit attentivement l'oreille et un petit sourire étira ses lèvres lorsqu'elle entendit de nouveau les voix. Marchant doucement pour étouffer le bruit de ses pas, elle suivit le bruit le long des couloirs jusqu'à la porte d'un petit débarras qu'on avait imprudemment laissée entre-ouverte. La longue expérience de princesse de Carmélide de Guenièvre lui avait appris à écouter aux portes depuis bien longtemps. C'était toujours utile pour connaître les secrets de la cour, se tenir au courant de la politique et déjouer diverses tentatives d'assassinat sur sa personne et celle de son mari.

Mais elle ne trouva cette fois que deux petits garçons, accroupis entre quelques seaux renversés.

-Tu n'aurais pas dû lui parler comme ça ! dit la voix du petit Galahad.

A côté de lui se tenait Mordred, ce qui n'était guère surprenant. Ces deux-là ne se quittaient jamais. La seule fois où ils avaient été séparés, c'était le jour où Galahad s'était perdu dans les couloirs du château et que Mordred avait cru qu'il avait disparu.

-C'est pas juste ! bougonnait d'ailleurs Mordred. On voulait juste jouer, j'faisais rien de mal !

-Oui, mais regarde ton œil maintenant !

Guenièvre poussa la porte pour entrer, un air amusé sur le visage.

-Et bien, petits damoiseaux, peut-on savoir ce que vous faites ici ?

Les deux jeunes enfants sursautèrent vivement et se tournèrent vers elle, pris par surprise. Cette fois, ce fut au tour de la reine de sursauter. Un grand bleu fleurissait sur la joue droite de Mordred, qui se la massait doucement, l'air furieux. Guenièvre porta une main à sa bouche, horrifiée.

-Oh, seigneur ! Mordred, qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

Galahad adressa un regard interrogateur à Mordred, comme pour lui demander s'il pouvait mettre la reine au courant. Guenièvre poussa un gros soupir en reprenant son calme et repoussa une de ses deux tresses rousses en arrière. L'avantage, avec Mordred, c'était qu'elle avait été exactement comme lui au même âge, ce qui faisait qu'elle était une des seules personnes de Camelot à se débrouiller avec lui.

-Très bien les enfants, suivez-moi, je vais m'occuper de vous.

Une fois dans ses appartements, Guenièvre pris son bol et celui d'Arthur, les remplit de lait et les donna à chacun des deux enfants. Elle avait pris l'habitude de garder toujours dans sa chambre une carafe pleine de lait pour les deux garçons. Ce n'était pas grand chose, mais cela faisait partie de leurs habitudes : les deux enfants savaient que la porte de Guenièvre leur était toujours ouverte.

L'arrivée de Galahad et Mordred à Camelot avait changé bien des choses pour le couple royal et leurs amis. Ils avaient commencé, face à cette jeunesse, à se rendre compte de leur âge et, dans le cas de Guenièvre, de leur manque flagrant d'enfants. La reine n'y avait jusqu'alors jamais songé, mais il fallait bien se rendre à l'évidence : elle et Arthur n'avaient jamais eu d'héritiers et Lancelot n'avait jamais partagé avec elle rien de plus que des baisers et un amour passionné.

La ballade de   CamelotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant