La ballade de Camelot

Chapitre 10

-Galahad, il faut faire quelque chose ou je vais l'étrangler avant qu'on atteigne ce marais ! déclara Mordred alors que les deux chevaliers ramassaient du bois mort.

Petite-Vareuse les avait menés tout le jour à travers les champs entourant Kerr-Glain jusqu'à un petit bosquet entouré par la lande. Alors que le soleil se couchait lentement à l'horizon les jeunes chevaliers et la petite vagabonde s'arrêtèrent pour passer la nuit. Il n'était certainement pas question de s'en prendre à la Bête durant la nuit, et Petite-Vareuse le leur avait bien fait savoir.

La jeune fille se trouvait près des chevaux, jouant à se rouler dans l'herbe avec son ours en riant comme une enfant qu'elle n'aurait plus dû être, à son âge. Elle semblait avoir oublié ses réticences à accompagner Mordred et Galahad, comme si rien ne comptait plus que le fait de se blottir dans la fourrure d' Obéron. C'était d'ailleurs là qu'elle devait passer la plupart des ses nuits à la belle étoile, songea Galahad.

-C'est n'est pas le meilleur guide que nous ayons eu,  je te l'accorde, dit-il en se tournant vers Mordred, mais comme maintenant elle est là, essaie de ne pas la tuer avant la fin de la mission, d'accord ?

Mordred leva les yeux au ciel mais les reposa sur Galahad d'un air amusé.

-Très bien, je vais me retenir. Elle n'est pas pire que ce vieillard de Calédonie qui nous crachait dessus en parlant.

Galahad émit un petit rire. Lorsqu'il avait fallu s'adresser à lui, Perceval et Bohort avaient gracieusement laissé leurs jeunes apprentis s'en charger. Pendant les deux semaines qui suivirent, Galahad avait eu une peur bleue d'avoir attrapé la peste et avait demandé à Mordred d'aller à sa place à tous les évènements requérant sa présence. Mordred s'y était plié sans mot dire, lui qui rechignait toujours à obéir aux ordres de ses aînés. C'était la première fois que Galahad s'était rendu compte de toute l'affection qu'il avait pour Mordred.

-Vous vous en sortez avec le feu, messires ? demanda au loin Petite-Vareuse. Je vous préviens, quand il fait nuit ici, c'est plus froid que le fond d'un lac.

Alors qu'elle approchait pour les rejoindre, Mordred tapota l'épaule de Galahad.

-Je vais chercher de quoi manger. Celle-là ne te donnera aucune maladie, ne t'inquiète pas.

Galahad réussit tant bien que mal à allumer un feu. Le courant de la rivière passant tout près d'eux avait rendu humide le sol et les branchages que les chevaliers avaient ramassés. Habituellement, les deux jeunes gens ne rencontraient jamais ce genre d'ennui lors de leurs missions. Mordred n'avait pas hérité de sa mère uniquement un désir de vengeance et de belles boucles noires, le sang féérique qui coulait dans ses veines l'avait aussi doté de quelques pouvoirs. Il n'avait certes pas la puissance de Morgane ou de Merlin, mais c'était bien assez à ses yeux et déjà extraordinaire pour ceux de Galahad. Qu'il vente, qu'il neige ou qu'il pleuve des cordes, Mordred allumait au creux de ses paumes une flamme plus ardente que celles des âtres de Camelot et le feu de camp était bien obligé de flamboyer à son tour. Mais avec Petite-Vareuse à leur côté, il n'en était pas question.

Galahad ne se lassait jamais de la magie de Mordred. Et Mordred n'aimait rien tant que de faire une démonstration de sa magie à Galahad. Enfants, ils avaient essayé de se servir de cette étrange magie pour leurs jeux, mais ils avaient été découverts par Arthur qui avait infligé à Mordred le soufflet le plus magistral de leur enfance. Ce jour-là, le petit garçon avait marmonné, assis dans la chambre de Galahad la joue rougie et l'œil noir : " Je le tuerai". A l'époque, Galahad avait pris cela juste pour une colère d'enfant sans fondement mais plus tard, il avait compris que Mordred était parfaitement conscient de ce qu'il disait : sa mère le lui avait répété chaque jour depuis sa naissance.