Chapitre 6

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Mordred aspergea son visage de l'eau froide de la rivière et retira un morceau de paille coincé dans le tissu de sa chemise. Les deux chevaliers avaient été tirés du sommeil aux aurores par l'âne de leur hôte qui avait décidé de lécher consciencieusement leurs visages, précipitant leur départ.

Mordred soupira en observant l'eau qui clapotait contre les pierres de la rivière. Un peu plus haut sur la rive, quelques lavandières battaient le linge tout en dévorant du regard ces deux jeunes chevaliers aussi innocents que fascinants.

- A quoi penses-tu ? demanda Galahad alors qu'ils remplissaient de nouveau leurs gourdes.

Mordred retourna vers la rive où l'attendaient ses chausses et son armure.

-A Icare, fit-il d'un air songeur.

Galahad redressa la tête vers lui.

- Ton dalmatien ?

Mordred leva les bras au ciel.

-C'est un dogue allemand ! Bon sang, ce n'est pas si difficile à retenir !

Galahad émit un petit rire avant de revenir lui aussi vers leurs chevaux.

- Je n'aurais pas cru que tu t'attacherais autant à ce chien ! rit-il.

Mordred esquissa un sourire. Effectivement, lui non plus. Icare lui avait été offert par la reine trois ans plus tôt, lorsqu'ils avaient été en âge d'accompagner les chevaliers à la chasse. Etonnamment, Guenièvre n'avait jamais rien eu contre Mordred et Galahad, même en sachant qu'il s'agissait d'enfants que les deux hommes qu'elle aimait avaient eu avec d'autres. Au contraire, elle les avait toujours traités comme les fils qu'elle n'avait jamais eu. Galahad, quant à lui, avait reçu un faucon pélerin du nom de Gabriel, mais il l'avait ensuite offert à son père lorsque la buse de celui-ci était morte. Icare n'avait pas plus de dix mois quand Mordred l'avait reçu, et il était bien incapable de chasser quoi que ce soit. Le jeune homme l'avait laissé dormir dans son lit et nourri de lait et des meilleurs morceaux de son assiette. Galahad n'y avait rien compris mais il n'avait rien dit. Les autres jeunes gens de Camelot, eux, n'avaient pas hésité un instant à se gausser de Mordred avec entrain. Ils riaient nettement moins maintenant qu'Icarus était devenu le chien le plus rapide et puissant de la cour.

- Quand il était petit, il ne s'éloignait jamais de moi, fit-il. Parce qu'il savait qu'il serait toujours en sécurité avec moi.

-Ça oui ! s'exclama Galahad. Tu le laissais dormir sur ton oreiller. Je croyais que tu l'appréciais plus que moi !

Mordred esquissa un sourire en rajustant son armure.

- Il n'y a personne que j'apprécie plus que toi, répondit-il.

- Sauf Nolween, bien sûr ! fit Galahad en enfourchant son cheval.

Mordred tendit dramatiquement sa main vers les nuées, l'autre sur son coeur.

- Ah ! Belle dame de mes jours ! Chaque instant passé loin d'elle est un coup de couteau de plus dans mon cœur meurtri !

Galahad éclata d'un grand rire qui fit relever les têtes des jeunes lavandières. Aucune n'avait entendu un rire plus charmant, car tout chez Galahad ravissait chaque personne qu'il croisait.

-Quand tu auras fini de dire des bêtises, nous pourrons peut-être nous diriger vers ce fameux Kerr-Glaïn ? fit-il.

Mordred se hissa sur Fata, ce qui fut l'occasion de s'interroger une fois de plus sur la capacité de la bête à tenir debout. Alors que Galahad éperonnait sa monture, son ami resta un instant en arrière, observant la rivière. Plus en aval, elle se séparait en deux bras, formant la rivière qui passait près de Camelot et un cours d'eau sauvage qui coulait vers le sud. Mordred se tourna ensuite vers Galahad, qui avait déjà gagné le chemin de poussière rose menant à Kerr-Glaïn. La rivière descendait dans la même direction, s'écartant quelque peu, mais restant toujours là. Modred éperonna Fata, un insidieux soupçon s'insinuant dans son esprit.

La ballade de   CamelotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant