-Cet enfant va me tuer ! rugit la cuisinière en remontant ses jupes pour se ruer à la poursuite du jeune garçon dans les escaliers.
Mordred détala à toutes jambes, s'aidant parfois de ses mains pour s'appuyer aux marches. Il bondit hors des cuisines et s'échappa, vif comme une anguille vers le couloir de gauche. il jeta un coup d'œil en arrière vers la cuisinière furieuse. Nolwenn pouvait coller de sacrées gifles aux marmots dans son genre qui venaient chiper de la nourriture dans ses cuisines, mais pour ça, il fallait déjà qu'elle les attrape. Et elle commençait à se faire vieille, tandis que Mordred était de loin le plus vif des jeunes gens de son âge. Il sentit monter en lui une envie de rire qui retomba prudemment lorsqu'il se heurta à un plastron d'armure un peu trop connu à son goût.
Le garçon dérapa sur le sol et tomba lourdement sur le dos. Il lâcha sur le coup le torchon qu'il tenait contre lui et les framboises qu'il contenait roulèrent sur le sol. Un pied chaussé d'écarlate en écrasa une et Mordred sentit une grande main le saisir par le col de sa tunique.
-Tiens, tiens, qu'avons nous là ? fit le seigneur Perceval en soulevant le garçon du sol.
-Dites lui de me lâcher ! s'exclama Mordred en se débattant tandis qu'il se tournait vers Arthur, qui accompagnait le chevalier importun.
Le roi ne répondit pas , et jeta un coup d'œil aux fruits répandus à terre alors que Mordred et Perceval se tiraient mutuellement la langue.
-Où as-tu eu cela, Mordred ? demanda Arthur.
Perceval reposa le garçon au sol pour qu'il puisse regarder son père à travers ses boucles noires.
-Je...commença Mordred.
Ce fut ce moment que choisit Nolwenn pour enfin le rattraper et piler net devant les deux hommes en armure. Mordred grogna et roula des yeux. Pourquoi fallait-il toujours qu'un élément extérieur vienne contrecarrer ses plans?
-Vos seigneuries...salua Nolwenn, soudain nettement moins hargneuse.
Arthur coupa court aux salutations de rigueur d'un geste de la main sans quitter le jeune Mordred du regard.
-Nolwenn...Ces fruits ne serraient pas à vous, par hasard?
La cuisinière arracha son regard du souverain pour en foudroyer Mordred.
-D'où croyez vous qu'ils viennent ? Évidement qu'il nous les a pris ! Comment vous voulez qu'on travaille, les filles et moi, si on a toujours des gamins qui viennent nous chaparder dans les paniers ?
Arthur et Perceval se tournèrent vers Mordred, mais le jeune garçon s'était déjà agenouillé pour ramasser ses framboises d'un air déterminé.
-Mordred ! lança brutalement Arthur. Quand vas-tu enfin écouter ce que je te dis!?
Mordred ne releva pas la tête de son travail, même lorsqu'Arthur leva la ton. Perceval finit par se pencher pour ramasser l'une des framboises et la tendit au garçon avec un sourire.
-Pourquoi écouterait-il ? fit-il à l'adresse d'Arthur. A son âge, pensions- nous seulement à faire quelque chose de différent ? pas moi. Laissez le donc, pour une fois.
Nolwenn pointa sa cuillère en bois sur l'enfant.
-Et ma tarte pour dame Sybil, je la ferai avec quoi, j'peux vous demander?
Perceval tapota l'épaule de la cuisinière.
-Connaissant personnellement vos tartes, ce ne sera pas quelques fruits manquants qui la gâcheront si cela peut vous rassurer...
Mordred ne prêta pas attention aux gloussements flattés de Nolwenn mais il croisa le regard du chevalier et lui adressa un sourire hésitant. Puis, avant que son père ne décide d'intervenir, il ramassa rapidement le reste de ses fruits pour filer au plus vite.
Les trois adultes regardèrent le garçon détaler à grandes enjambées avant de disparaitre dans un angle, son torchon serré contre son ventre comme un trésor.
Arthur poussa un léger soupir.
-Je ne vois pas pourquoi vous lui permettez tant de choses, Perceval, déclara-t-il.
Son chevalier esquissa un sourire.
-Et moi, je ne comprends pas pourquoi vous vous acharnez tant sur Mordred. Vous ne passez pas autant de temps à sermonner les autres garçons. Qu'y a-t-il de différent avec lui ?
La mine d'Arthur se fit sombre. Mordred était un bien lourd fardeau à porter pour un roi. Arthur gardait depuis des années son adultère et son inceste dans le secret, mais un Mordred vivant auprès de ses chevaliers pouvait à tout instant faire éclater la vérité au grand jour. Mais ce qui l'inquiétait plus que son honneur, c'était la nature même de Mordred. Le fils de Morgane et de ses propres péchés. A quel genre d'avenir était -il promis?
-Je m'inquiète pour Mordred, se contenta-t-il de dire. Je crois qu'il se dirige vers un mauvais chemin...
Caché dans l'angle du couloir, le jeune Mordred jeta un dernier coup d'œil aux deux chevaliers qui le croyaient déjà loin avant de repartir d'un pas rapide. Il avait traversé l'étape la plus compliquée de l'opération. Le reste de son chemin ne fut ralenti que par quelques femmes de chambre dont il dut se cacher car elles ne l'auraient jamais laissé atteindre sa destination ainsi que par quelques chevaliers qui tenaient absolument à lui faire la conversation.
Enfin, le jeune garçon arriva à une porte de chêne qu'il ouvrit prestement. Le bois était lourd sous ses mains d'enfant mais il lui suffisait de peu pour se glisser à l'intérieur.
Sur un lit trop grand pour lui, un petit garçon aux cheveux aussi fins que des fils d'or regardait patiemment les oiseaux par la fenêtre. Son bras était toujours en écharpe depuis sa chute de l'arbre quelques semaines plutôt. Mordred avait regardé Merlin s'occuper de l'attèle et avait demandé plusieurs fois à l'enchanteur pourquoi il n'utilisait pas les mêmes plantes que sa mère. Merlin l'avait mis à la porte sans ménagement et Mordred s'était dit qu'il était bien susceptible pour le conseiller du roi.
-Galahad ! lança Mordred avec un grand sourire en se précipitant vers son ami. Regarde !
Plus fier qu'un chevalier revenant de mission, il déposa son butin de baies sur les couvertures du lit. Les yeux de Galahad s'ouvrirent tout grand de joie. Avec une impatience enfantine, il prit plusieurs fruits pour les avaler, poissant ses doigts et ses lèvres de rouge.
-Merci ! s'exclama-t-il avant de lever vers Mordred un regard curieux. Où les as-tu eu ?
Mordred croisa les bras sur le lit. Son altercation avec Nolwenn ne lui semblait pas une anecdote à raconter.
-Je me suis débrouillé, fit-il.
Ce qui n'était pas faux en soit. Et puis, Galahad n'était pas un idiot. Il se doutait parfaitement de ce que Mordred faisait lorsqu'un bras cassé l'empêchait de rester avec lui pour le surveiller. Mais il ne disait rien. Galahad ne faisait jamais la morale à Mordred. Il savait comment il était, et il acceptait ça. C'était une des raison pour lesquelles Mordred l'appréciait tant. Galahad était un être unique en son genre, déjà meilleur du haut de ses huit ans que les plus courageux des chevaliers d'Arthur.
Galahad prit quelque framboises de sa main valide et se leva pour se rendre à la fenêtre. Mordred l'observa disposer les fruits sur le rebord de pierre et bientôt, quelques petits oiseaux bruns vinrent s'y poser pour picorer ce qu'on leur offrait. Le visage de Galahad s'illumina d'un grand sourire et il s'appuya au mur pour regarder les oiseaux en silence.
Mordred sourit lui aussi en posant son menton sur ses bras. Peu importait s' il prenait un mauvais chemin. Il savait que Galahad serait là pour équilibrer la balance.
VOUS LISEZ
La ballade de Camelot
FantastikLa coure de Camelot est a l'apogée de son règne, abritant en son sein les chevaliers les plus glorieux qu'on n'ai jamais connu. Mais certains sont également de drôle d'individus. Parmi eux se trouve Mordred, l'enfant damné, fils de la vengeance et d...