Chapitre 15

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Comme Mordred l'avait demandé, les trois compères se levèrent dans le même temps que les rayons du soleil, laissant derrière eux leurs chevaux pour se déplacer avec une plus grande discrétion. Mordred s'attendait à ce que Petite-Vareuse refuse de les accompagner, puisqu'ils connaissaient à présent le chemin qui menait à l'étang. Mais la jeune fille rabattit son capuchon sur son crâne et leur emboîta le pas. Suivant la marche nerveuse de Mordred, ils parvinrent bien vite aux abords de l'étang. Le jeune chevalier leur intima l'ordre de se coucher au milieu des herbes hautes qui entouraient l'eau et de s'y dissimuler au mieux. Jamais la vouivre ne se métamorphoserait si elle les repérait. Elles ne se baignaient qu'une fois sûres d'être seules, leur trésor étant bien trop précieux pour risquer de se le faire prendre.

-Et tu es sûr que cela suffira pour ne pas se faire repérer ? chuchota Galahad alors qu'ils étaient enfoncés dans la boue jusqu'aux coudes.

Mordred ne quitta pas l'étang du regard tout en débouclant lentement son fourreau. L'épée ne ferait que le gêner lors du sortilège, son fer étant bien trop imprégné d'humanité pour ne pas nuire à sa magie.

-Avec un peu de chance, elle sera encore trop bouleversée d'avoir failli perdre son joyau pour  nous voir, murmura-t-il.

-Nous voir j'en sais rien, mais si vous continuer à papoter, c'est sûr qu'elle va nous entendre ! cracha Petite-Vareuse, qui était maintenant encore plus sale que d'habitude.

Mordred la fusilla du regard. En la voyant pleurer son ours disparu, il avait oublié combien elle était agaçante.

-La situation est parfaitement sous contrôle, merci ma petite, siffla-t-il.

-Vous pouvez pas arrêter de m'appeler "ma petite" ? répondit la jeune fille.

-Silence tous les deux ! lança tout bas Galahad. Regardez !

Mordred et Petite-Vareuse se turent aussitôt et s'aplatirent un peu plus dans l'herbe boueuse. Au-dessus de la lande, le jeune chevalier vit se dessiner une ombre qui grandissait à vue d'œil. La vouivre revenait. D'un coup d'aile, la créature se posa au bord de l'étang et balaya les alentours d'un regard inquisiteur, son joyau flamboyant sur sa tête. Mordred retint son souffle pour deux raisons. La première car c'était ici que tout se jouait. Si la vouivre les repérait, ils pouvaient commencer à fuir et devraient rester à Kerr Glain au moins une semaine pour qu'elle oublie leur odeur.

La seconde raison, c'était la vouivre elle-même. Il n'avait plus vu de créature des sildes depuis bien longtemps et la paisible vouivre qui faisait gracieusement glisser ses anneaux dans les herbes l'émerveillait par son port et sa puissance. Aucune créature  ne pouvait égaler les bêtes de son monde, songeait-il en se remémorant le temps passé à Brocéliande.

La vouivre replia doucement ses ailes en atteignant la rive de l'étang. Là, elle baissa tranquillement la tête et son joyau, son troisième œil rouge, glissa de son front pour se poser dans les roseaux. Puis, elle ouvrit la gueule et ce fut le tour de tout le reste de sa peau de glisser, telle un serpent qui mue. Mais ce ne fut pas un serpent qui sortit de ce cocon sec et écailleux : ce fut une magnifique jeune femme, nue et aux longs cheveux noirs et détachés. Elle était d'une beauté stupéfiante, mais Mordred savait à quoi s'en tenir car lorsqu'elle ouvrit les yeux, ils étaient aussi rouges que le rubis qu'elle venait d'abandonner. La belle entra dans les eaux et en quelques brasses, atteignit le milieu de l'étang. Mordred la regarda se baigner avec un sourire presque humain sur ses gracieuses lèvres. Il connaissait les vouivres, savait qu'elles étaient loin d'être sans défense, mais il s'en voulait d'en attaquer une à l'air si serein et paisible.

Soudain, la vouivre plongea sous l'eau et Mordred sut que c'était le moment de mettre son plan en action.

-J'y vais, lança-t-il à Galahad.

La ballade de   CamelotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant