Chapitre 1

267 30 82
                                    

La main approcha prudemment du pain d'épices qu'on avait imprudemment posé sans surveillance, aussi discrète qu'une légère petite souris. Une cuillère s'abattit sur elle dans un claquement sec.

-Aïe ! s'exclama Mordred en agitant sa main meurtrie.

Le jeune homme se tourna d'un air indigné vers la veille Nolwenn qui pointait sur lui la dangereuse cuillère que Mordred avait appris à bien connaitre. Ou inversement.

-Que comptiez vous faire, exactement, votre seigneurie ? demanda la cuisinière.

Mordred se fendit d'un sourire doucereux.

-Mais, rendre hommage à votre cuisine, ma chère Nolwenn...assura-t-il.

"Et dans les plus brefs délais", songea-t-il. L'adoubement approchait à grand pas et Galahad devait être plus tendu qu'un arc à l'heure qu'il était. Déjà, les cuisines fourmillaient de cuisinières et de serviteurs qui  se démenaient en tous sens pour le grand banquet qui allait suivre. Mordred avait cru pouvoir se fondre dans tout ce désordre pour récupérer un petit en-cas, mais la vigilance de Nolwenn n'était pas de celles qu'on pouvait déjouer facilement.

-Très bien... soupira-t-il sous le regard pénétrant de la veille femme. Dans moins d'une heure, je deviens chevalier. C'est la dernière occasion que j'ai de venir dans vos cuisines, laissez moi ce plaisir encore une fois, s'il vous plait !

Nolwenn ne parut guère émue par ces paroles, pourtant très bien choisies de l'avis de Mordred.

-Vous vous comportez à vingt ans comme vous le faisiez à huit ! vociféra-t-elle. Comment avez- vous pu arriver au rang de chevalier ?

-Pour être exact, je ne le suis pas encore, sourit Mordred.

Il souriait souvent en ce genre d'occasion. Lorsqu'il souriait, les gens avaient tendance à se penser moins mal à l'aise. Ce qui était faux, bien entendu, mais ce contraste les faisait céder plus vite.

Nolwenn soupira et agita sa cuillère.

-Oh, et puis je m'en fiche. Je suppose qu'aujourd'hui est un jour spécial.

-Vous supposez bien, approuva Mordred en se saisissant de plusieurs tranches de pain d'épices.

-Et je veux plus vous voir dans ma cuisine ! tonna Nolwenn alors que Mordred disparaissait dans les escaliers, ses enjambées faisant claquer sa cape d'encre.

Le pas-encore-tout-à-fait-chevalier en devenir Yvain, qui avait toujours eu des difficultés de mémoire, marmonnait ses vœux de vassalité dans son début de barbe ridicule. Tristan, lui, tentait vainement de paraitre rassuré mais Mordred et, à vrai dire n'importe qui, ne pouvait être dupe. Et enfin il y avait Galahad qui, revêtu de son armure de cérémonie,  semblait aussi noble que son père Lancelot, et deux fois plus magnifique. Il fixait patiemment le vide devant lui, comme il le faisait si souvent, plongé dans le monde de ses pensées, mais Mordred savait reconnaitre dans ses yeux une certaine tension. La façon dont il se tourna vers son ami lui donnait amplement raison.

-Enfin ! s'exclama-t-il en relevant la tête à son approche. Je commençais à croire que tu ne viendrais jamais ! Où étais-tu ?

Mordred avalait une dernière bouchée de pain d'épices.

-Aux cuisines, fit-il, car il était inutile d'essayer de mentir avec Galahad.

Lequel Galahad regarda  Mordred comme s'il avait été un fou.

-Aux... bafouilla-t-il comme s' il n'avait jamais entendu une pareille aberration. Mais nous sommes sur le point de nous faire adouber ! Mordred !

Mordred leva son deuxième morceau de pain d'épice.

La ballade de   CamelotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant