La pluie finit par s'estomper et elle fit place à un grand soleil. Complètement gelée et les muscles noués, Luna se leva dès qu'elle en fut capable, puis elle s'étira et se dégourdit. Arbol la regarda avec une attention particulière en cherchant dans sa mémoire s'il avait déjà vu un être comme elle. Il avait beau chercher, il ne trouva rien qui venait s'associer de près ou de loin à la jeune femme. C'est alors qu'affamée, Luna commença à sortir des petits fruits de son sac tout en retournant sur la route, Arbol à ses talons. Puis, avant même de prendre une bouchée, elle affirma:
― Je me souviens. Le soleil traverse le ciel tous les jours jusqu'à ce qu'il atteigne les grandes montagnes. Puis, il change et il devient la lune. Il repasse dans le ciel avant de redevenir le soleil et nous ramener le temps chaud.
― Exactement.
― Dis-moi Arbol, je me demandais... je sais que c'est une question bizarre. Es-tu une fille ou un garçon?
― Qu'est-ce que cela changerait? Du temps où j'avais mon enveloppe d'arbre, j'avais un pistil et des étamines... Ce qui fait de moi autant une femelle qu'un mâle.
Luna se mit à rire, puis elle leva les yeux. Elle pensait qu'elle aurait dû réfléchir avant de poser la question, car au fond d'elle, elle connaissait la réponse. C'est alors qu'Arbol ajouta après avoir analysé les étranges émotions de son hôte:
― Ne te sens pas mal. C'était au contraire une très bonne question puisqu'elle révèle un souvenir qu'il existe à la fois des garçons et des filles parmi les tiens. Une preuve qu'il existe d'autres comme toi. En ce qui te concerne, tu es un garçon ou une fille?
― Une fille!
Les mots sortirent avec conviction comme s'il était impossible, voire même insultant, de supposer le contraire. Surprise par cette réaction spontanée, Luna resta sans voix jusqu'à ce qu'Arbol lui adresse un large sourire et dit :
― Je m'en souviendrais.
Sans savoir ce qu'elle pourrait ajouter à la discussion, Luna fit un léger rire, puis elle reprit son long chemin vers la vallée en sentant quelques douleurs aux muscles, faute d'avoir trop marché la veille sans prendre de longues pauses. C'est alors qu'Arbol rompit le silence pour dire :
― Une autre différence qui va te surprendre. Pour moi, manger de la nourriture comme tu le fais me parait étrange. Habituellement, je me nourris directement du soleil. C'est bien mieux.
Au même moment, Luna prit des petits fruits et elle les engouffra. Immédiatement, Arbol baissa les bras et fronça les sourcils.
― Je retire ce que j'ai dit. Se nourrir du soleil ne goutte pas ça... du tout...
Luna haussa les épaules et fit un petit sourire narquois à son nouvel ami. Incroyablement la présence d'Arbol semblait contenter un vide en elle. Un besoin d'entretenir une relation sociale. Toutefois, cela ne répondait pas à tous ces étranges besoins que s'emparaient d'elle. Arbol, qui avait vécu une vie d'arbre, ne saisissait pas toutes les émotions complexes qu'éprouvait Luna. Pour lui, vivre le contentait amplement, mais lorsqu'il sondait le coeur de Luna, il sentit des pulsions qui lui étaient étrangères. Les émotions de Luna évoluaient rapidement et en quelques jours, ses besoins complexes d'adolescente avaient commencé à faire surface. Pourquoi vouloir connaitre le monde. Pourquoi vouloir le comprendre? Pourquoi sentir le besoin d'attention? Arbol se sentait aussi submergé que Luna l'était et il eut une idée pour satisfaire ces besoins.
― La vallée t'obsède.
― Je dois savoir ce qui s'y trouve. Tu dois le sentir dans mon corps, cet appel.
― Je le sens et je dois t'avouer que je ne le comprends pas. Qu'est-ce qui te pousse à te déplacer jusque là tandis qu'il y a assez de fruits ici pour assurer ta survie?
― Je ne sais pas. Je le sens, c'est tout. Je veux voir. Je veux savoir.
― As-tu pensé que c'est peut-être l'appel de tes semblables?
― Peut-être bien.
― La bonne nouvelle, c'est que j'ai peut-être entendu parler des gens comme toi avant de perdre mon ...
Arbol marqua une pause pendant lequel il fut pris de nostalgie. Il savait que la perte de son corps l'amenait dans une toute nouvelle aventure, mais elle restait tout de même une perte douloureuse. Il prit un léger moment de réflexion avant de reprendre:
― Avant de passer au feu, j'ai entendu qu'il y avait des êtres vivants comme toi qui mangent des fruits ou des plantes. Nous devrions les trouver sur un plateau non loin d'ici.
― Vraiment? Je suis heureuse de l'entendre. Avons-nous à faire un détour?
― Si nous continuons sur le chemin de la vallée, nous devrions voir le plateau. Je te dis tout cela en espérant que l'idée de retrouver les tiens te rendra très heureuse. Une fois auprès d'eux, ta mémoire reviendra probablement d'elle-même.
― Tu souhaites mon bonheur, c'est gentil.
― C'est tout à fait normal.
Pour Arbol, c'était tout à fait naturel, puisque son esprit serait en paix que lorsque le corps hôte le serait aussi. C'est alors que Luna se mit à ralentir le pas en regardant le ciel bleu. Puis, elle observa les arbres qu'elle voyait. Des idées tourbillonnaient dans sa tête. Des réponses à ses questions pouvaient probablement lui être octroyées par ses semblables. Toutefois, l'exaltation de l'adolescente fit place au doute et même à la peine, au grand désarroi d'Arbol.
― S'ils n'existaient pas?
― Tu sais au fond de toi qu'ils existent.
― Non, je veux dire, s'ils n'existent plus. Si j'étais la dernière?
― Non, je ne crois pas que c'est possible. L'on ne peut être le dernier...
― Pourtant, il faut un premier et un dernier à toute chose. Un début et une fin. Si j'étais la fin?
― Ne te torture pas avec ces idées saugrenues. Tu les retrouveras et lorsqu'ils seront près de toi, tu ne seras plus perdue.
― Tu as raison Arbol, je me fais du souci pour rien. J'ai déjà hâte de les voir.
Sur ces paroles, sans s'en rendre compte, Luna augmenta la cadence de ses pas en espérant retrouver les siens sur le grand plateau.
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La plaine fantôme
FantasyÀ son réveil, Luna apprend qu'elle est la dernière humaine sur terre. Accompagnée par l'esprit d'un arbre, elle contemple un monde qui s'effrite et meurt. Arrivée au crépuscule des temps, elle doit affronter les obstacles qui se dressent sur son che...