La plaine fantôme

Chapitre 5 Le bout du monde partie 2

Luna n'en croyait pas ses yeux. Derrière le mur bleuté durant le jour se trouvait une immense plaine. Celle-ci était éclairée par sa propre lune. Une lune sombre et violette qui dominait la plaine et éclairait en son centre, un arbre gigantesque. À ses pieds, des petits points rouges. Beaucoup de points rouges... Par millier.

― L'arbre! Il est là! s'écria Luna.

― Depuis ma naissance, dit l'esprit mauve. Ceux qui me précédaient m'ont dit que cet arbre avait toujours été présent tout au long de leur vie et la vie de ceux avant eux. Du plus loin que notre mémoire générationnelle peut remonter, cet être était là. Il doit avoir tant de choses à raconter, mais il est trop loin pour communiquer avec nous.

― Nous pourrions l'atteindre, dit Arbol heureux qu'il puisse être le premier.

― J'en doute fort, dit l'esprit mauve.

― À cause de ces points rouge, repris Luna. Est-ce les monstres que nous avons vus?

Arbol regarda en plissant les yeux, mais il ne pouvait en être sûr.

― Ce sont les fantômes, dit l'esprit mauve. Ils ont toujours été là, à errer dans la plaine. Parfois, il se dirige dans ces directions.

L'esprit montra une montagne dominée par une lune verte. Puis, il pointa une vallée dominée par une lune rouge et enfin, il pointa un endroit vide.

― Je les appelle le monde vert, le monde rouge et là, je suis certain que c'est le monde noir. Chacun d'entre eux possède leur propre lune qui se comporte comme la nôtre. Celle-ci forme un arc délimitant un dôme qui touche presque aux autres. Il est possible de voir qu'une légère parcelle les séparent. Je nomme ce lieu, l'entre-monde. C'est un endroit plongé dans une noirceur éternelle, éclairé seulement par les étoiles. Toutefois, vous pouvez distinguer ce que mes prédécesseurs et moi pensons être des sentiers. Vous savez ce que ça signifie? Il a peut-être existé une époque où un grand soleil éclairait la planète entière. Cependant, il se serait scindé en petits astres qui chacun n'illuminent que des parcelles, laissant des lisières dans les ténèbres. 

― Vous n'avez aucune preuve de ces allégations. Tout cela n'est que des hypothèses, dit Arbol.

― Difficile de recueillir des preuves lorsqu'il est impossible de se déplacer. Apparemment, aucune chaine de communication ne traverse l'entre-monde. Ce qui signifie que les arbres des autres mondes ne communiquent pas avec le nôtre. Toutefois, les fantômes eux, semblent capable de traverser et entrer dans les autres dômes. Un exploit qui, selon la mémoire que m'a léguée mes parents et leurs parents avant eux, a eu lieu la première fois il y a relativement peu de temps. Je regarde ces points rouges s'aventurer toujours plus loin dans les autres régions. Un jour, ils atteindront peut-être la nôtre.

― Et ça sera la fin du monde... murmura Arbol.

― N'exagérons rien. Nous ne savons pas s'ils sont si méchants...

― Ils le sont...

L'esprit mauve plissa les yeux et pinça les lèvres le temps qu'il réfléchit, puis il comprit enfin :

― Vous les avez vues... de notre côté?

― Ils détruisent tout sur leur passage...

L'esprit mauve se gratta la tête à mesure que Luna confirmait ses tristes soupçons.

― Leur nombre ne fera qu'accroître à mesure qu'ils quitteront la plaine fantôme...

Luna fixa les milliers de points rouges entourant l'arbre gigantesque. Devant elle se dressait la menace d'annihilation de toutes formes de vie. Une armée en dormance qui s'éveillait lentement.

― Aussi longtemps que les fantômes y seront, il sera impossible d'atteindre le grand arbre. Le monde rouge doit aussi être dangereux, puisque les fantômes s'y rendent souvent. Le monde vert est plus doux, à cause de la hauteur des montagnes, je suppose. Moins de fantômes ne s'y rendent. Par contre, une inquiétante vapeur verdâtre s'y émane et tourbillonne sans cesse. Je regarde le monde vert chaque nuit et jamais je n'ai aperçu une parcelle de vie sur ces grands flancs de montagne.

― Qu'est-ce qui en est du monde noir? Qu'est-ce qui te fait croire qu'il y a un monde noir?

― Les fantômes se dirigent vers l'entre-monde pour atteindre un dôme. Ils se déplacent pour rejoindre le monde rouge, le monde vert et un entre-monde qui ne mène à rien. C'est pourquoi je pense qu'il y a un monde noir.

― Est-ce que tu as vu des humains comme moi rôder sur la plaine fantôme?

L'esprit mauve tourna la tête en signe de négation.

― Rien ne rôde sur la plaine fantôme outre que les fantômes, dit l'esprit d'une voix sinistre. Malheureusement, c'est la première fois que je vois ton espèce. J'aurais vraiment aimé pouvoir t'aider.

Luna se tourna vers Arbol et lui fit signe de s'approcher. L'acolyte de Luna se pencha vers elle et écouta:

― Nous devons trouver une façon de se rendre sur la plaine fantôme et parler à cet arbre. Il pourra nous révéler l'endroit où se trouvent les humains, expliqua l'aventurière.

― C'est de la folie. Je ne veux pas me faire manger par les fantômes. Ne serait-il pas plus judicieux d'aller voir le monde vert? S'il est plus sécuritaire, il sera plus probable que les humains s'y cachent. Sans dire que tu peux parler aux arbres, nous pourrons consulter ceux de la grande chaîne de montagnes. Si nous devons partir, nous partons pour le monde vert.

― Alors, nous partons pour le monde vert, dit Luna d'un ton déterminé.

Arbol lui fit des grands yeux et il lui avoua:

― Vraiment? Je... je ne pensais pas vraiment. Vois-tu... Nous pouvons simplement attendre les humains ici.

― S'ils n'ont pas mis les pieds ici depuis des siècles, je ne crois pas qu'ils viendront dès demain. Tu n'as pas le choix de venir avec moi, puisque nous sommes liés.

L'être spectral serra les lèvres et se crispa. Malheureusement pour lui, sa camarade avait raison. Il n'avait pas le pouvoir de décision. Si Luna allait dans le monde vert, il n'aurait pas le choix de la suivre. À moins que son hôte ne le libère, alors l'esprit de la nature lui révéla:

― Bien en fait... il serait possible que tu donnes mon lien à un autre animal. Je pourrais devenir l'esprit d'un cheval.

― Nous allons ensemble à la montagne verte! brusqua Luna.

Arbol acquiesça et dit finalement:

― C'est comme tu le souhaites, mais je te rappelle que ce n'est probablement pas une bonne idée.

L'esprit mauve qui les écoutait d'une oreille ne put s'empêcher d'ajouter:

― Il y a une façon de se rendre dans le monde vert sans passer par le rouge ni la plaine fantôme. Par contre, ce chemin vous demande de sauter d'une bonne hauteur. Il est peu probable que vous soyez en mesure de revenir par cette route. Si vous voulez revenir, vous devrez contourner la plaine fantôme et passer par le monde rouge.

― Nous y allons tout de même! Montre-nous le chemin! s'exclama Luna.

― Nous allons vraiment faire cela? demanda Arbol.

L'esprit mauve fit comme s'il n'avait pas entendu le dernier commentaire et il pointa le chemin du doigt. L'exploratrice ne laissa pas son compagnon donner son opinion. Elle se dirigea aussitôt vers le chemin pointé par le guide.