La plaine fantôme

Chapitre 20 Caballo partie 2

Le soleil traversa de nouveau le ciel pour faire place à la nuit et revint ensuite en créant l'époustouflant spectacle de l'aube. Luna continua à fredonner et à vivre toujours plus près des chevaux. Puis, durant la journée, l'un d'eux s'approcha. Encore le même que la dernière fois. La jeune femme resta surprise de cette rencontre inopinée. Heureuse que le sentiment soit réciproque avec cet individu, elle profita de cet instant pour lui gratter le flanc avant qu'il reparte. Un peu confuse, l'aventurière se demanda si elle ne venait pas de servir de grattoir. Amusé, Arbol ne put s'empêcher de rire! Toutefois la monture revint le soir, puis le lendemain et elle ne se gêna pas de la pousser amicalement avec son museau.

Après un certain temps, il prit l'habitude de s'approcher de celle qui ne faisait pas partie des siens. À la somme de leurs rencontres, l'aventurière tissa des liens particuliers avec cet être qui lui avait ouvert son coeur.

Désireuse de lui donner un patronyme, la sauveuse l'interpella du nom de "Caballo" et celui-ci répondit immédiatement à ce patronyme. Ensemble, le trio prit l'habitude de s'éloigner du troupeau pour visiter les environs et vivre leurs propres aventures.

Quelques semaines de fréquentation s'additionnèrent avant que Luna se sente enfin prête à faire le grand saut. Elle appela Caballo, puis elle commença en posant sa tête contre le sien et en disant:

― Fais-moi confiance.

C'est alors qu'elle se mit à flatter son flanc avant d'attraper sa crinière. À ce moment, la jeune femme sut qu'elle avait déjà monté à cheval auparavant. Il ne restait plus qu'à suivre son instinct et à répéter ce qu'elle avait appris à une époque très ancienne. Elle balança le pied sur le flanc et d'un coup elle le chevaucha. Soudainement, elle se sentit plus vivante que jamais. Une sensation de grandeur et de puissance s'empara d'elle. Amusée, un seul mot fut prononcé:

― Allez!

Arbol toucha l'esprit du cheval qui comprit aussitôt l'intention de sa cavalière. D'un coup, la monture se mit à avancer au pas. Il parcourut une courte distance avant que Luna ne lui dise:

―Demi-tour.

Le cheval connectait avec l'être spectral qui, lui, connectait avec l'humaine. C'était une symbiose parfaite. Caballo sentait une joie et un plaisir à amuser ses amis, alors il s'exécuta et tourna les talons. La cavalière demanda à sa monture ce qu'il voulait entendre, ce qu'il souhaitait lui montrer.

― Plus vite...

Le cheval se mit alors au trot

― Plus vite! demanda la jeune femme amusée.

La monture se mit au galop, puis au grand galop. Le coeur de la cavalière battait très fort tout en étant déchiré entre l'envie de l'arrêter et le plaisir que procurait cette vitesse. Ce fut le courage qui l'emporta sur la peur. Caballo rejoignit les autres chevaux qui coururent à l'unisson dans la prairie qui s'offrait à eux. Ce fut un spectacle inouï que la sauveuse se jura de ne jamais oublier. Un bonheur transcendant parcourait son corps et la força à crier de joie. Elle chevauchait un cheval comme dans la légende de Descortées!

La jeune femme profita de cette expérience toute la journée, puis la journée d'après et celles qui suivirent. Des jours durant, Luna chevaucha Caballo accompagné de son meilleur ami. C'est ensuite que le trio quitta le plateau pour gravir la montagne, puis redescendre jusqu'à la forêt. Ce monde incroyable devint leur terrain de jeu qu'ils découvrirent le cœur léger sans jamais penser au poids pesant de la plaine fantôme. Cette vie au rythme de la nature combla le trio inséparable.

En y repensant, l'aventurière comprit qu'elle ne pouvait plus vivre sans ce grand bonheur que lui apportaient ses deux amis. De son côté, Arbol fut ravi d'offrir à son hôte, un bonheur qu'il avait cru perdu lors de leurs périples. À plusieurs reprises, il témoigna à son amie qu'il adorait ce mode de vie et qu'il pouvait vivre ainsi jusqu'à la fin de ses jours. C'est ce qu'il souhaitait. Expérimenter le grand bonheur avec ses deux meilleurs amis. Chaque fois que Caballo partait au grand galop, Arbol se surprit à adorer se déplacer très rapidement. Puis, les soirs, il restait couché aux côtés de Luna en regardant les étoiles tout en parlant de ce qui leur passait par la tête. Ils découvraient le monde ensemble tout en se racontant des histoires.  

Cependant, la curiosité de Luna eut raison de son propre bien être. Bien que la jeune femme pouvait vivre ainsi le reste de ses jours, la plaine fantôme commença à tenailler son esprit à nouveau. Cet endroit refermait des secrets inexplorés qui expliqueraient l'état de tous les mondes. Parfois, les moments de joie de l'aventurière se taisaient lorsqu'elle pensait aux autres sphères. Enfermo était quelque part là-bas, étouffant chaque soir d'un gaz nauséabond. La grande bouche continuait de hanter la cité où elle avait vécu. Les peaux grises guettaient probablement le monde rouge en attendant que le soleil soit trop faible pour empêcher leur retour. Puis il y avait le plus vieil arbre de la terre qui attendait seul, entouré des fantômes. Ces pensées perturbaient l'exploratrice qui finit par prendre sa décision. Un soir, avant de se coucher sur le bord d'une souche, elle dit à son compagnon:

― Nous partons demain à l'aube. Nous allons rejoindre la plaine fantôme.

― Tu es toujours déterminée? Tu ne te plais pas ici?

― Si, je suis heureuse. Mais je dois y aller.

Arbol soupira en abaissant ses épaules de désespoir. Le regard sombre, il se mit à réfléchir avant d'afficher un petit rictus.

― C'est ce que j'admire en toi. Tu n'abandonnes jamais. Lorsque je pense à la plaine fantôme, je ressens de la peur, mais aussi un désir de savoir ce qui s'y cache. Tu sais... Luna, nous risquons fort bien de ne pas revenir vivants. Nous allons à notre perte. Veux-tu toujours poursuivre cette voie?

― Tout ce que j'ai vécu jusqu'à présent n'était qu'une préparation à ce moment. Je sais que la fin nous guette. Je sais que je fais partie de l'une des dernières générations d'humains. Je l'ai accepté. J'ai accepté ce destin qui pèse sur mes épaules. Je n'ai plus peur de mourir, Arbol. Je n'ai plus peur des fantômes. S'il m'attrape, alors je passerais de l'autre côté.

― Qu'en est-il de Caballo? C'est un cheval insouciant. Il n'a rien à voir là-dedans.

― Bien au contraire, Arbol. La fin ne touche pas que les humains. Elle touche tous les êtres vivants. Caballo va mourir et ses enfants et les enfants de ses enfants. Rapidement, le pauvre n'aura plus de descendant, car les soleils se seront éteints et les fantômes avaleront toutes les âmes de tous les mondes. Chaque être vivant est concerné, sauf qu'il n'y a que nous qui le savons. J'aurais besoin que tu lui parles. Que tu lui fasses comprendre pourquoi nous sommes là.

Arbol hésita un moment, puis il hocha la tête en disant:

― Je ferais de mon mieux.

L'esprit se leva et se dirigea vers Caballo non loin d'eux. Il posa sa main sur le museau du cheval, puis sa tête contre son crâne. D'un coup, une lumière apparut et la connexion entre les deux êtres s'établit. Arbol parla directement au coeur du brave cheval. Cela dura une bonne partie de la nuit. L'adolescente resta éveillée un temps, puis elle s'endormit devant ce spectacle.

Sous les rayons du soleil du matin, Caballo réveilla sa cavalière qui resta surprise. L'animal la poussa encore et encore pour s'assurer qu'elle se lève. À moitié assoupi, Luna ne put faire autrement que de demander:

― Qu'est-ce qui se passe?

― Il est prêt. Nous y allons, lui répondit Arbol.

― Vraiment? demanda la jeune femme en se levant d'un coup. Il nous conduira?

― Il le fera, si tu prends la peine de monter.

La sauveuse sourit et d'un coup, elle enjamba Caballo et se mit en route. Elle prit le temps de humer l'air et de regarder le lever du soleil. Les montagnes formaient un paysage splendide fort en couleur. L'espace d'un moment, une partie de son être s'attrista de quitter ce lieu formidable pour retourner dans les ténèbres. Cependant, son coeur lui demandait de faire le grand saut. Pendant une journée entière, Luna chevaucha vers la lisière du monde. Après un long moment, elle finit par l'atteindre.