Chapitre 17 Les machines de la mort partie 1

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À l'entrée du temple, Luna resta recroqueviller entre deux hachoirs meurtriers qui frappaient le sol encore et encore. Toujours en même temps. Toujours au même rythme. Encore et encore. Un chant aliénant pour la pauvre victime. Ce n'était nulle autre que le chant de la mort.

Arbol la regarda, impuissant. Il avait toujours apporté un certain soutien moral auparavant, mais cette fois-ci, il voyait bien que l'état de son amie allait bien au-delà de ses compétences. Il se demanda même si, au point où elle en était, la jeune femme pouvait être ramenée. Lorsqu'il s'ouvrit à elle, une vague de détresse se déferla sur lui et l'être spectral n'eut d'autre choix que de se protéger. La douleur était trop grande pour lui. Elle était aussi trop grande pour Luna, mais elle ne pouvait pas la fuir. Son esprit avait finalement cédé.

Elle ne pouvait plus vivre dans le déni. Elle était finalement confrontée à la triste réalité. Un poids pesait dans sa poitrine qui ne cessait de la faire souffrir. La gorge nouée, elle émettait des plaintes stridentes à mesure que sa tête l'accablait de tristes images témoignant de son horrible destin. Ses mouvements devinrent incontrôlés, car aucune position ne pouvait taire la douleur trop grande qui parcourait son corps. Son inconfort devint intolérable.

Elle voulait se laver, se coucher, dormir, être enfin en paix. Mais tout cela lui était refusé, interdit et inaccessible. Son destin était de mourir, empalé dans d'horribles souffrances, le corps recouvert de boue, la gorge sèche et le cœur lourd. Sa seule autre alternative était d'être dévoré vivante, déchiqueté, déchiré par les dents des mangeurs de chair dans des circonstances tout aussi sordides.

Après un certain temps, Arbol se mit à regarder autour de lui. Il espérait trouver le soleil non loin ou une issue qui lui permettrait d'éviter son triste destin. Lentement l'esprit posa les yeux sur le mangeur de chair. Il trouva sa mort ironique. Ces constructions morbides ne pouvaient avoir été faites par d'autres que les peaux grises. Pourtant, ce sont ces mêmes créations qui avaient eu raison de lui. C'est alors que l'être spectral nota quelque chose d'étrange. Des indices qui l'intriguèrent et qui pourraient intéresser Luna. Du moins, en d'autres circonstances.

Il regarda ensuite toute la structure, puis plusieurs questions se mirent à fourmiller dans son esprit. Il voulait tellement les partager avec son amie, mais celle-ci vivait un terrible traumatisme qui l'empêchait complètement d'être fonctionnels. Pris de pitié, Arbol essaya de nouveau de se connecter avec son hôte, mais il dut se refermer, faute d'être submergé par une douleur trop grande.

Il pensa alors à attendre avant d'entrer de nouveau en contact avec sa compagne. Il se posa auprès d'elle et il lui flatta les cheveux. Il n'y avait plus rien à faire. Rien ne pouvait arrêter le flot de larmes de Luna. À part, peut-être, le temps. Alors, il chantonna un air musical, toujours le même qui lui venait dans ces moments de détresse.

Après un très long moment, le flot de larmes diminua. Arbol sentit alors que la tristesse de Luna passait par vague. Son esprit essayait de reprendre le dessus, mais aussitôt elle sombrait de nouveau dans le désespoir. L'être spectral profita d'un moment de calme pour dire à son amie:

― Tu dois reprendre sur toi. Tu es toujours vivante.

Mais, ces mots n'eurent aucun effet sur la jeune femme qui resta les yeux rivés sur le sol. Trop faible pour répondre.

― Tu dois faire taire cette peine, Luna. Tu dois reprendre le contrôle. Nous pouvons nous en sortir.

L'exploratrice baissa les yeux, puis elle observa le mangeur de chair avant de regarder un squelette sur un mur. Elle réfléchit un instant, puis elle demanda:

― Pourquoi la vie est si injuste?

― Elle est comme cela. Habituellement, elle finit par s'équilibrer.

― Non, dit simplement l'aventurière. Elle n'est pas juste. Elle n'est pas équilibrée.

La tristesse parcourut à nouveau son corps. Elle pleura à chaude larme, puis après un long moment, elle reprit le contrôle de ses esprits. Cependant, elle n'avait toujours pas la force de se lever. Elle bougea simplement ses yeux. Elle observa ce qu'Arbol avait observé plus tôt.

― Cet endroit est étrange, n'est-ce pas? dit son compagnon.

Luna resta sans voix, puis l'être spectral, désemparé, continua:

― Je n'aurais pas pensé voir des instruments de torture dans un temple. Peut-être n'est-ce pas le temple que nous cherchons?

― Ce l'est, dit finalement l'exploratrice.

― Avec ces statues de mangeur de chair? Elles sont immenses comme s'ils étaient vénérés.

― C'est pour faire peur.

― Pourquoi faire peur?

― Pour que personne ne répare le soleil.

―Pourquoi ne pas détruire la porte?

Luna réfléchit un instant, puis elle finit par émettre une hypothèse.

― Pour faire fuir les faibles et faire croire que les forts peuvent survivre.

― Tu crois que ces machines sont une mascarade faite pour que les humains en bonne santé tentent leur vie?

― Pour qu'ils meurent, laissant les plus faibles derrières.

― C'est une étrange façon de procéder. Moi, j'aurais simplement détruit la porte.

C'est alors que l'exploratrice se remit à pleurer. Quelque chose de troublant venait à nouveau traverser son esprit. Elle lâcha prise et le sanglot s'empara d'elle. Cela prit un temps avant qu'elle ne reprenne ses moyens. Ses yeux se rivèrent sur le mangeur de chair.

― Son visage me semble connu...

―Je sais. Est-ce que tu le reconnais?

― Je ne veux pas le reconnaitre.

―Mais tu l'as reconnu.

― Ne confirme pas mes doutes.

― J'ai fait le lien. Je pense que tu l'as fais toi aussi.

― Non, se mentit Luna.

Arbol préféra se taire pendant un instant. Il sentait que l'esprit de son hôte essayait de la protéger de la vérité. Elle était en mesure de mettre les pièces du casse-tête ensemble, mais elle ne le fit pas. Cela prit un long moment avant qu'elle ne dise:

― Quel est ce lien?

Arbol hésita longuement, car ce n'était qu'une hypothèse. Habituellement, c'était Luna qui faisait rapidement ce genre de déduction. Si elle ne l'avait toujours pas fait, c'est qu'une partie d'elle le refusait. Pourtant, c'est elle qui lui demandait de lui révéler la vérité.

― Il est celui que tu crains qu'il soit. Cicatrice au visage et yeux d'un bleu vifs. Ce n'est pas pour rien que Lamentar se tenait à l'écart. Ce n'est pas pour rien que les enfants disent qu'il n'y a pas d'adulte...

― Car lorsqu'ils deviennent adultes, ils se transforment en mangeurs de chair...

― C'est ce que je crois. Lamentar ne t'a pas aidé dans la cage. Il est resté les mains cachées. Probablement que ceux-ci avaient commencé à se transformer. Il sentait qu'il aggraverait la situation en avouant à Gritas que non seulement elle allait être dévorée, mais qu'en plus que ce serait ses propres parents qui allaient mettre fin à ses jours.

Les yeux pleins d'eau et une boule dans la gorge, Luna ne put simplement dire:

― Continu ton hypothèse.

― Les peaux grises, une fois adultes conçoivent des enfants, mais ils ne les gardent pas. Décidément, ils connaissent bien la localisation de la communauté. Il leur suffisait simplement de poser les bébés près des enfants en espérant que ceux-ci prennent soin de leur progéniture. Progéniture qu'ils mangeront plus tard.

De nouveau, Luna éclata en sanglots. Cela lui faisait si mal. La vie la faisait souffrir. La réalité était trop lourde à soutenir. Trop triste. Trop cruel. Trop d'injustice. Luna n'en pouvait plus. C'était trop pour elle. C'était trop pour n'importe quel être humain qui aurait été à sa place. La jeune femme resta en boule et pleura toutes les larmes de son corps. 

La plaine fantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant