La plaine fantôme

Chapitre 12 Descortées partie 1

Enfermo avait entendu l'écho des cris de désespoir qu'il avait reconnu aussitôt. C'était lui qui appelait l'aventurière par son nom. Connaissant bien les montagnes et la trajectoire que le son empruntait dans ces vallons, le guerrier de la tribu avait réussi à traquer la femme en détresse. Heureuse de voir un visage qu'elle reconnaissait, Luna fit un petit sourire qu'elle n'avait pas fait depuis trop longtemps. Sans attendre davantage, son salvateur s'approcha pour lui donner un peu de nourriture qu'il transportait ainsi que de l'eau. La rescapée se gava malgré la saveur âcre du mets et le goût infecte de liquide pourtant plus supportable que celle de la source chaude.

― Quel soulagement de te voir vivante, dit immédiatement Enfermo. Nous avons cru que la grande bouche t'avait dévorée. À notre retour, nous avons fait une petite sépulture pour Rojo et nous en avons fait une pour toi. Nous étions si tristes de perdre deux des nôtres en si peu de temps.

Luna détourna son regard de sa nourriture infecte afin de fixer le petit guerrier.

― Je te suis tellement reconnaissante, Enfermo. Si tu n'avais pas surgi de je ne sais où, je serais morte de déshydratation. Tu es mon sauveur.

Enfermo arbora un grand sourire, fier de lui, puis il tendit sa main maigrichonne en direction de l'exploratrice. La jeune femme resta surprise et embêtée, car elle ne savait pas comment agir dans cette situation. Elle tendit sa main aussi et son salvateur l'agrippa en la secouant.

― C'est un grand plaisir d'être d'une aide.

Puis, il relâcha la main de son amie. L'aventurière fut ravie par ce geste d'affection fait à son intention. Elle se remit à boire et à manger avant qu'Enfermo ne s'assoie au sol et demande:

― Dis-moi maintenant comment as-tu survécu à la grande bouche?

Luna ne finit même pas sa bouchée qu'elle s'extasia à raconter:

― Il y avait un temple dans la forêt. J'ai...

Puis les pensées de l'exploratrice vagabondèrent rapidement. Elle se mit à penser à tout ce qu'elle avait vu et découvert. Il y avait tellement de choses à raconter à son compagnon, mais le temps lui manquait. C'est alors que son attention fut attirée par le soleil.

― Arbol, il arrive bientôt au zénith. C'est notre chance.

― Cela nous laisse peu de temps pour trouver cette porte, reprit l'esprit.

Le natif des montagnes arqua le sourcil, toujours surpris par cette étrange habitude que Luna avait de s'adresser à un individu invisible. Il n'eut le temps d'ouvrir la bouche que l'aventurière s'adressa à lui et elle demanda:

― Enfermo, j'ai besoin de ton aide. Aurais-tu vu une porte dans ces montagnes? Si je suis le soleil, à quel emplacement je dois me situer pour être sous sa position lors de son zénith?

Le guide resta surpris par les questions de sa compagne, puis il dit simplement:

― Je ne sais pas. Il est impossible de connaitre cette localisation. Il est si haut et il est caché par tout ce brouillard. Comment savoir avec exactitude? Je n'ai pas vu non plus une porte.

― Ce peut aussi être une iris. Un grand trou circulaire.

Les yeux d'Enfermo devinrent grand ouverts, puis il s'exclama:

― Le chemin des dieux. J'aurais dû y penser. Il y a un endroit. Suivez-moi.

Luna se mit à suivre le guide qui savait où il se dirigeait, mais il ne se déplaçait pas assez rapidement pour l'exploratrice qui le pressa en lui disant:

― Nous devons nous dépêcher, Enfermo. Nous devons arriver avant que le soleil atteigne son zénith. Sinon, nous devrons attendre une journée avant de changer la sphère. Parce que... je vais trop vite. Lorsque vous êtes partie de la cité. Je suis restée. J'ai traduit votre texte qui était fort intéressant, mais cela ne nous aide pas à trouver la clé pour arrêter la fin du monde. C'est là que la grande bouche m'a surprise. J'ai couru. Il a tout détruit sur son chemin.

Voyant que le temps lui manquait, Luna essaya de couper court aux détails en disant :

― Bref, je ne sais pas comment j'ai survécu à cette rencontre. Ce que tu dois savoir, c'est que je me suis enfuie vers la forêt. Puisque je parle aux arbres, ceux-ci m'ont indiqué la voie vers un lieu où je pouvais me réfugier. Cet endroit était un temple. À l'intérieur, il y avait une sphère. C'était le soleil. Du moins, un autre soleil. J'ai trouvé la façon de l'activer pour qu'il parte vers les cieux. Tu vois, lorsque le zénith arrive, le soleil tombe du ciel pendant que la sphère monte dans les airs et à moitié du chemin, ils s'échangent de rôle. Le soleil devient la sphère et la sphère le soleil. Ainsi, j'ai pu faire fuir la grande bouche. Cependant, cela ne fonctionne que lorsque c'est le soleil qui est dans le ciel et non lorsque c'est la lune. J'ai aussi appris que les anciens humains vivaient dans ces contrées, mais ils ont été pris par surprise par plusieurs grandes bouches. Cependant, il y en a moins maintenant à cause de la pénurie de nourriture. Les autres sont parties, mais l'un d'eux est resté. Après l'attaque, les humains sont venus se réfugier dans la montagne. Par contre, je ne sais pas pourquoi le soleil ne les a pas repoussés plus tôt.

À la suite d'une pause trop courte pour laisser la parole à son camarade, l'exploratrice ajouta d'un air troublé.

― Il s'est passé quelque chose à cette époque qui a empêché les anciens de changer le soleil. Mais, je ne sais pas quoi. Je ne sais pas pourquoi la grande bouche ne peut pas accéder à ce monde ni aucun autre monde que j'ai croisé. Je ne sais pas pourquoi cet endroit est toxique, mais je crois qu'en trouvant le temple de ce monde, je pourrais changer l'astre de cette région.

Luna reprit son souffle et Enfermo s'arrêta au même moment. Il regarda la jeune femme d'un air dérouté, puis il lui dit:

―Tu es peut-être la plus belle femme que j'ai vue, mais je crois que tu es un peu folle. Tu parles aux arbres et tu changes le soleil. C'est de la folie, Luna. L'air que tu respires t'affecte.

― Non, Enfermo, tu dois me croire.

― Je ne sais plus quoi croire. C'est juste que... C'est beaucoup pour moi. J'aimerais te faire confiance, mais je ne veux pas de faux espoirs non plus. Il n'y a rien de plus douloureux.

Luna réfléchit un instant. Son ami avait raison, son histoire était plutôt invraisemblable. Par contre, elle lui prouverait qu'elle avait raison au moment où elle changerait le soleil.

Le duo traversa quelques vallons de la montagne puante, puis Enfermo s'arrêta et il dit:

― Voici ce que tu cherchais. Nous l'appelons le chemin des dieux. Seulement ceux-ci peuvent y pénétrer.

Luna plissa les yeux et s'approcha de la crête. C'est alors qu'elle aperçut un énorme trou entre deux montagnes. Arbol s'approcha d'elle, puis il dit:

― C'est l'iris. La porte ne doit pas être loin.

― C'est notre porte. Je vais descendre par là.

― J'aurais aimé te suivre, déplora son guide. Mais, cet endroit est interdit pour les nôtres. Trop nombreux sont ceux qui sont morts en tentant de descendre dans ce trou. Je ne risquerais pas ma vie pour ta fantaisie. Je suis désolé. Je vais retourner à la tribu. Pour que tu retrouves ta route si tu changes d'avis, je ferais un chemin en petites roches qui t'indiquera la direction à prendre.

― Je t'en remercie, Enfermo.

― Tout le plaisir est pour moi. J'aimerais tellement croire tes histoires. J'aimerais tellement qu'elles soient vraies, dit le petit guerrier en quittant son amie.

― Mais, elles le sont, dit Luna désemparée.

Cependant, son guide ne l'écouta pas. Il pointa une tornade de vapeurs vertes et il dit:

― Surtout, fais attention à ce phénomène. Si tu es prise dans une tornade toxique, tu n'y survivras pas. Si tu es frappée par une vague de vapeur toxique, tu n'y survivras pas non plus. Ces contrées sont dangereuses, alors ne traîne pas trop. Le lieu le plus sécuritaire, c'est là où nous avons installé notre tribu. Il n'y a ni vague ni tornade. Fais bien attention à toi, le chemin des dieux a pris la vie de plusieurs avant toi. Reviens-nous saine et sauve.

Puis Enfermo reprit son chemin et commença à installer des petits cailloux. C'est alors qu'Arbol mit sa main sur l'épaule de Luna et il lui dit:

― Il a des doutes. C'est normal. Je crois que peu d'esprits nous croiront. Mais, nous savons. Nous devons y aller. Nous devons découvrir ce qui se cache dans ce temple.

L'exploratrice hocha la tête et se mit à descendre la crête.