Elle y était enfin arrivée. La plaine fantôme se tenait devant elle. Un terrain si vaste baigné dans une lumière violette. En dessous du soleil à son zénith se dressait le grand et majestueux arbre ancien. Cette structure colossale s'élevait jusqu'au ciel et dominait le paysage. Le terrain autour était plat et dénué de vie depuis des siècles. Les fantômes, qui arpentaient cette plaine par milliers, avaient dévoré toutes âmes dénudant ainsi le sol jusqu'à la pierre. Cette vision de ce monde arrivé à sa fin donna froid dans le dos de l'exploratrice. L'atmosphère silencieuse, sans brise, sans odeur, dominée que d'une palette restreinte de couleurs déconcertait le trio. Les pas de Caballo résonnèrent autour de la jeune femme à chaque claquement qu'il produisait.
― Il est toujours temps de faire demi-tour, remarqua Arbol.
― Non, surtout pas aussi près du but. Nous allons y arriver, dit Luna.
L'être spectral remarqua les fantômes qui se tenaient davantage vers le centre. C'était comme si l'arbre les appelait. Comme s'il était le centre de tout ce désastre. Son air lugubre donna des frissons à Luna qui regarda les branches qui semblaient presque dénuées de vie.
― S'il est mort? demanda Arbol.
― Il ne l'est pas. Il se tient trop droit et fier pour en être autrement, reprit sa camarade.
― Comment comptes-tu lui parler avec tous ces fantômes?
― Le temple de ce monde doit se trouver exactement au centre. Là où se dresse l'arbre ancien. Se rendre à l'un, c'est probablement se rendre à l'autre.
L'être spectral hocha la tête, puis l'adolescente prit une grande respiration. Son coeur battait à grands coups dans sa poitrine. Ses tripes se resserrèrent tandis qu'elle regardait la mort en face. Caballo se mit à respirer très fort et très vite tandis qu'Arbol serra Luna dans ses bras en fermant brièvement ses yeux. Il avait peur lui aussi, car les fantômes pouvaient déconnecter le lien qui l'unissait à son hôte. D'un coup, l'aventurière prit son courage et dit:
― Allons-y.
Le trio quitta la lisière pour foncer droit sur la nuée de fantômes. Caballo fit un pas, puis un autre. Rapidement, il augmenta la cadence. Il passa de la marche au trot. À sa gauche, un fantôme remarqua sa présence, mais celui-ci ne posait aucun danger. Seul dans cette vaste plaine, un agent de la mort ne faisait pas peur. Puis, il y en eut un à droite, puis de nouveau à gauche. Leur nombre se mit à augmenter rapidement, barrant ainsi la route du trio. Plus ils avançaient, plus le risque grandissait. À l'affut, l'aventurière guida le cheval pour éviter de se faire prendre au piège en empruntant un chemin sans issue.
― À droite! commanda Luna.
Caballo tourna pour éviter un fantôme. Ensuite, voyant que les mangeurs d'âmes resserraient leur rang pour bloquer son passage, il passa au galop. D'un coup, le cheval pivota à gauche pour éviter un autre fantôme.
― Attention à gauche s'écria Arbol!
Le cheval piqua pour ne pas se faire attraper. Un mangeur d'âme se tenait à droite, puis derrière et devant. Caballo devait piquer entre deux agents de la mort.
― Nous nous éloignons de l'arbre, s'écria Arbol.
― Il faut rester vivant d'abord, cria Luna.
La monture fit demi-tour. Devraient-ils revenir sur leur pas? Réessayer plus tard? Abandonner? Ou continuer d'essayer d'avancer? Le choix de l'exploratrice était fait. Elle poussa Caballo à piquer entre deux fantômes en direction de l'arbre qui semblait encore si loin. Les créatures de la fin des temps devinrent très nombreuses. Elles passèrent de plus en plus près. Quelle idée Luna avait eue? Pourquoi affronter ce danger ainsi? La vie lui importait-elle si peu? Jusqu'où pouvait pousser la curiosité?
― À droite! cria l'aventurière.
Caballo s'arrêta net devant un fantôme et tourna à droite pour l'éviter. Le mangeur d'âme avança son bras qui passa près du tibia du cheval. S'il se faisait toucher une jambe, Luna risquait de faire un vol plané par-dessus lui. Elle roulerait sur l'impact et risquerait dans sa chute de heurter un fantôme qui aurait immédiatement mis fin à ses jours. Sa monture ne devait pas échouer. Les fantômes ne devaient pas l'attraper. Cependant, la plupart des mangeurs d'âmes ne visaient pas le destrier, mais plutôt un plat dont ils se régaleraient, Arbol. Les abominations tentaient désespérément d'attraper l'esprit ou de couper sa liaison avec Luna.
Le coeur de Caballo pompait une grande quantité de liquide pour lui permettre de galoper sans arrêt. La poussière sous ses pas volait dans les airs et ses coups de sabot fracassaient la pierre en galette. La tête arquée vers l'avant, le destrier perçait l'air. Les mains engourdies, Luna tint bon la crinière de son cheval. Les jambes serrées jusqu'à ce qu'elles n'aient plus de force, la jeune femme essaya de ne pas tomber. Cramponné à elle, Arbol regarda les fantômes d'un air horrifié. Ceux-ci passaient si près et ils étaient si dangereux que l'esprit eut l'impression d'être dévoré à distance. Il n'en pouvait plus et il espérait que tout s'arrête. Il espérait que Luna abandonne. Mais, ce ne fut pas le cas, le cheval courut à gauche et à droite sans jamais vraiment s'approcher de l'arbre.
― Caballo, tu dois être plus offensif. Il faut prendre des risques. Pique à travers! ordonna la cavalière.
Cela signifiait de se sacrifier. Une chose que bien peu d'êtres vivants étaient prêts à faire. Cependant, le vaillant destrier fit confiance en son amie et il piqua entre deux fantômes. Il espérait couvrir la plus grande distance possiblement, mais malheureusement, les bras des mangeurs de chairs s'étendaient loin et ceux-ci pouvaient rapidement couvrir un large périmètre.
C'est alors que Caballo s'arrêta devant l'une des ombres et se leva sur ses pattes arrières. La cavalière se cramponna de toutes ses forces, puis elle sentit une froideur au niveau de sa jambe. Le fantôme venait de toucher le ventre de Caballo, puis son flanc lorsqu'il reprit sa course. En même temps, le mangeur d'âme avait touché la jambe de Luna qui s'engourdit. Cette sensation fut déplaisante pour l'aventurière, mais elles n'étaient en rien comparables aux blessures de sa monture qui perdit de l'allure. Le poil sur son ventre et sur son flanc devint blanc là où le fantôme avait glissé ses doigts. Ses muscles s'engourdirent et ne répondirent plus comme le cheval le souhaitait. Les yeux rivés sur le grand arbre, le trio constata que le chemin à parcourir était encore long. Quand allait-il arriver ou plutôt, allait-il seulement y arriver? Leur vie pouvait simplement leur être retirée pendant ce moment de souffrance.
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La plaine fantôme
FantasyÀ son réveil, Luna apprend qu'elle est la dernière humaine sur terre. Accompagnée par l'esprit d'un arbre, elle contemple un monde qui s'effrite et meurt. Arrivée au crépuscule des temps, elle doit affronter les obstacles qui se dressent sur son che...