La plaine fantôme

Chapitre 22 L'esprit sacré partie 1

Enfin, Luna venait de parvenir à ses fins en atteignant le temple de la plaine fantôme situé sous le grand arbre. Toutefois, le prix de cette réalisation pesait lourd sur ses épaules. La douloureuse perte de Caballo, son fidèle ami, pour aboutir dans une prison surveillée par des dizaines de fantômes qui l'attendaient au seuil du portique.

Derrière elle, un liquide lumineux de couleur or tandis que devant se dressait un très grand et imposant esprit blanc. L'aventurière recula sur sa position jusqu'à ce qu'elle pose ses mains sur le rebord de la bassine, puis elle balbutia quelques mots. Au lieu de sentir une grande joie, une frayeur s'empara de son être. À cet instant elle remarqua que sa connexion avec Arbol était facilement atteignable par l'esprit blanc. Jamais Luna n'eut aussi craint que ce lien soit coupé. Elle ne connaissait pas les intentions de cet esprit. Pouvait-il être malfaisant? Après tout, les fantômes orbitaient autour de cet arbre sans jamais l'avoir mis à mort. Qui était-il et que cachait-il?

Rapidement, l'esprit blanc entre-ouvrit la bouche, puis il se recula. Il observa Arbol qui ressemblait à un enfant à côté de cet être mature. L'entité spectrale retourna ensuite son attention sur l'humaine puis il enchaina:

― Comment est-ce possible?

― Vous... Vous êtes bien l'esprit de cet arbre? demanda naïvement l'exploratrice.

― Je suis bien l'esprit de l'arbre sacré, reprit le spectre blanc en s'avançant. Quant à toi, tu es bien réel? Tu n'es pas un mirage?

L'être spectral caressa le visage de Luna au grand désarroi de la jeune femme. Elle sentit une sensation froide sur sa peau, mais celle-ci ne ressemblait en rien à la sensation que proliférait le contact avec un fantôme. L'aventurière n'apprécia guère, mais cela ne dura pas longtemps. L'esprit blanc recula de quelque pas au grand soulagement de l'exploratrice puis il dit d'une voix assombrie:

― Je ne croyais pas revoir un visage un jour.

Arbol s'approcha immédiatement de sa camarade et s'assura qu'elle tenait le coup émotionnellement. La jeune femme se laissa tomber au sol, puis des larmes coulèrent sur ses joues. C'était beaucoup d'émotion pour elle. L'esprit blanc s'éloigna lentement, laissant ainsi le duo ensemble.

L'exploratrice revoyait sans arrêt Caballo mourir sous ses yeux. Impuissante devant le destin de son ami qui venait de donner sa vie pour elle. Pour sa mission à elle. Pour rencontrer cet esprit qui se présentait à elle. À ce moment, Luna ressentit du regret. Elle venait de sacrifier un être pour sa quête de réponses. Est-ce que le savoir de cet esprit valait vraiment la seule vie que chérissait ce cheval? Est-ce que cet arbre pouvait guérir le mal qu'infligeait la perte d'un être cher?

Bien sûr que non. Rien ne la réconforterait. Elle qui pensait que de rencontrer cet individu légendaire amènerait une joie et une sensation de victoire instantanée. Ce ne fut aucunement le cas. Une amertume et une tristesse toujours grandissante envahirent le coeur de l'aventurière. Trop de sacrifice avait été fait dans cette veine quête de réponse. L'exploratrice regretta de ne pas être restée dans le monde qui l'avait accueilli après son réveil. Elle regretta d'avoir amené Caballo avec elle et d'avoir trainé Arbol vers le destin terrible qu'était la mort.

Luna ne pouvait s'empêcher de regarder les fantômes qui trainaient à la porte en attendant que la jeune femme s'offre d'elle-même au châtiment ultime. Elle savait que les mangeurs d'âme ne partiraient pas. Ils avaient l'éternité devant eux, alors attendre quelques jours leur serait d'une grande facilité. Elle était prise au piège.

Les événements de la journée revinrent la hanter. La proximité de la mort à chaque pas de son cheval. Caballo se faisant lacérer par les fantômes. Les yeux du cheval qui suppliait le monde entier de le laisser vivre. Son hennissement qui déchirait un silence troublant. Ses propres cris qui résonnaient dans sa tête. Son coeur battant à la chamade. Les fantômes qui avaient coupé le lien des jambes du cheval avec la vie. Les monstres qui avaient envoyé Caballo dans l'abysse éternel. Lui qui quelques jours plus tôt, galopait avec bonheur dans la prairie. Comment un être aussi heureux pouvait être autant blessé? Comment un être si bon et insouciant que Caballo pouvait subir un si terrible destin? Luna se rappela soudainement des souvenirs d'enfance et elle se demanda comment le monde pouvait-il être aussi injuste? Comment pouvait-il laisser le prodige de la vie être détruit par des êtres aussi horribles que les fantômes? Tant de questions dont l'exploratrice connaissait trop bien la réponse. 

La vie est un parcours sans justice. Elle prend les êtres qui nous sont chers.

Elle avait pris Caballo, bien d'autres avant lui et bien d'autres après lui. Parfois elle prenait la vie doucement, parfois elle la prenait avec les cris du désespoir. Juste à y repenser, Luna se mit à pleurer la mort de son cheval. Cela dura un temps. Cela dura longtemps. Puis, au bout de ses larmes, Luna finit par atténuer ses souvenirs maudits qui hantaient ses pensées. Lorsqu'elle sécha enfin ses larmes, elle regarda l'esprit blanc avec ses yeux rougis, rongés par l'amertume, puis elle ordonna:

― Dites-moi tout!

Le vieil arbre s'éloigna un peu en regardant avec lassitude des portions de ses propres racines. Avec une voix lente et grave, celui-ci lui répondit:

― Tout, c'est beaucoup. Ce sont des siècles d'informations. Que recherches-tu précisément? Qu'est-ce qui t'a rendue assez folle pour venir ici?

― Je veux savoir tout ce qui s'est passé! Pourquoi le monde touche à sa fin?

― Tout? Le monde entier est un mystère. Il y aurait tant de choses à dire. Commence par prendre le temps de t'assoir convenablement. Je sais que les humains, dû à leur poids, aiment bien laisser leurs jambes au repos. De plus, tu as vécu un grand périple seulement pour venir en ces lieux. Tu dois être exténuée et tu n'es pas prête de partir si je ne me trompe.

D'un coup, le regard de Luna se porta sur les fantômes qui se tenaient toujours à la porte. L'esprit sacré sourit, puis il rassura son invitée:

― Ne t'inquiète point. Ils n'approcheront pas. Ce qui se trouve derrière toi les repousse.

― Qu'est-ce que c'est?

― Je crois qu'il vaut mieux pour toi et moi que ce soit moi qui pose les questions d'abord.

L'exploratrice remit soudainement en doute les intentions de l'arbre sacré. Que voulait-il savoir d'elle? Lui qui était si vieux et si sage, que pouvait-elle lui apporter comme information? Mais il la rassura de nouveau en disant:

― Ainsi, je saurais ce que tu ne sais pas. Commençons d'abord par ton nom.

― Luna, dit timidement la jeune femme en prenant place entre deux racines.

― Luna, je suis heureux de te voir et aussi attristé. Ta présence peut être à la fois un bon ou un mauvais présage. Où es-tu née, jeune enfant?

― Je... je suis née dans la cité attaquée par la grande bouche.

― Une cité attaquée par une grande bouche? En fouillant dans ma mémoire, je ne trouve aucune cité attaquée par une grande bouche. Qu'est-ce qu'une grande bouche?

― C'est un monstre avec une bouche énorme. Ils mangent les humains en une bouché. C'est un monstre terrifiant.

― Aucun animal ne concorde à cette description ce qui me laisse croire que ceci est bel et bien un monstre de l'au-delà des mondes, dit lentement l'esprit.

― Oui, ils proviennent de l'entre-monde.

― L'entre-monde, c'est une façon de l'appeler. Cet endroit dont tu parles. Elle doit avoir un nom autre que la cité attaqué par une grande bouche. N'est-ce pas?

― Oui, ce sont les ruines des anciens.

― Alors tu es née dans des ruines?

― Non, je suis née dans la cité.

― Qui s'est faite attaquer par la grande bouche pendant ton enfance?

―Non.

L'esprit arqua le sourcil. Les réponses de Luna ne concordaient pas avec son grand savoir. Qui était cette jeune femme?