Chapitre 3 - Val

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Je mets un temps fou à entrer dans la voiture de Jenny. Je commence par me prendre les pieds dans la portière avant de m'étaler sans aucune classe sur la banquette arrière. Argh. 

Ma meilleure amie m'accueille avec un grand sourire - elle est comme ça Jenny, heureuse en permanence. Ses cheveux bruns sont ramassés vers l'arrière en une queue de cheval lâche, et elle tient son téléphone dans une main, l'autre étant occupée à me relever. 

Je m'époussette et m'attache avant que la voiture ne démarre. Après un rapide "bonjour" au père de mon amie, que je ne connais pas bien, j'entame la discussion matinale. 

— Bien dormi? je demande en première. 

Jenny hausse les épaules. Nous savons toutes les deux que c'est faux. Ni l'une ni l'autre ne dormons normalement, Jenny à cause de ses insomnies et moi à cause de...

Non. 

Je me secoue. Jenny remarque mon trouble et m'agrippe la main pour la serrer fort. 

Le trajet vers le lycée se passe en musique. Comme mon téléphone est pour la plupart du temps hors service, je profite du Spotify de mon amie. AirPod dans les oreilles, nous observons le paysage réunionnais défiler derrière les vitres. 

Lorsque nous arrivons au lycée, il nous reste une bonne trentaine de minutes avant le début des cours. Jenny et moi rejoignons nos amis devant le portail ; notre point de rendez-vous habituel. Ils sont tous là, plus ou moins réveillés. Je les salue rapidement avant de diriger mon regard vers le portail. Vert, et immense comme d'habitude. 

La plupart des élèves voient l'école comme une prison. Moi, je vois plus l'institution comme un hôpital pour fous ; quand vous connaîtrez mes amis et mes profs, vous comprendrez. Quand j'arrivais encore à tenir une heure sans me déconcentrer, j'étais heureuse de venir ici. Le collège commençait à m'ennuyer sérieusement alors le lycée a été comme une bouffée d'air pur à la sortie d'une grotte. 

Mais ça, c'était avant. 

Le portail s'ouvre brusquement, me faisant sursauter. Julius, un type châtain qui pourrait postuler comme figurant dans un film d'horreur en tant que fantôme tant sa peau est pâle, et qui a la fâcheuse tendance à toujours se moquer de tout le monde, ricane en voyant mon trouble. Je le fusille du regard sans toutefois protester plus ; je n'ai plus d'idées suicidaires depuis longtemps. 

Une marée d'élèves se déverse dans l'établissement. Jenny et moi sommes les premières à y pénétrer, proches de l'entrée comme nous le sommes. 

Je remarque des petites taches de sang sur les marches. Un frisson me remonte le long de la colonne vertébrale. Les souvenirs suivent, sinistres. Je revois la silhouette qui se balance, du sang dégouttant le long de ses bras, trempant le sol et mes chaussures...

Un cri me sort de mes pensées. Strident, comme celui d'un animal prit par surprise par un prédateur. 

— Val, souffle Jenny. 

Je me rends compte que ma meilleure amie m'agrippe le bras de toutes ses forces. Je vais sûrement avoir un bleu plus tard. Quelque chose ne va pas. 

Le sang trempe mes chaussures de nouveau, réveillant les vieilles taches. N'écoutant que mon courage, je m'avance, tentant de refouler mes souvenirs. Une horde d'élèves paniqués me bloque la vue. Je joue des coudes, Jenny toujours cramponnée à mon bras, me fraye un passage pour voir l'objet de tant de crainte. 

Arrivée au premier rang, je baisse les yeux. 

Un cadavre est étendu devant les salles de physique. La tête, percutée par un objet sûrement très lourd, a explosé sous le choc. Des lambeaux de chair éclaboussent les alentours, à plus d'un mètre autour de la victime. Le reste du corps a vraisemblablement été massacré avant l'achèvement, car de nombreuses coupures jalonnent la chair meurtrie. Impossible d'identifier la victime ; le corps est bien trop endommagé pour ça, les vêtements sont gorgés du sang de leur porteur et la tête est réduite à une purée sanglante. 

Une mouche se pose sur la main crispée. C'est un signal pour un estomac ; il se soulève et je suis prise d'un haut-le-coeur. Heureusement, je réussis à ne pas vomir, mais je tombe à genoux. Je continue à être secouée par des spasmes de dégoût pendant que Jenny m'entraîne loin de la scène. 

Lorsque je relève la tête, je croise le regard sombre de notre prof de physique, qui ne semble pas particulièrement surpris par le fait qu'un cadavre soit étendu devant sa salle. 

Bien. Je crois que je tiens déjà un suspect.  

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant