Chapitre 28 - Val

47 3 0
                                    

Le matelas est plutôt inconfortable.

Décidée à retrouver le côté frais du coussin, je me soulève légèrement pour retourner ce dernier. Mon mouvement brusque ne fait même pas broncher ma meilleure amie, allongée dans son lit. Je suppose que ses insomnies n'ont pas encore commencées. 

Couchée sur le dos, je me cale contre mon oreiller, qui, malheureusement, est aussi brûlant d'un côté que de l'autre. Yeux grands ouverts, je contemple le plafond, incapable de trouver le sommeil. Normalement, chez moi, mes étoiles en plastique phosphorescentes me renverraient un éclat tamisé rassurant, mais ici, seul le noir me répond. Je roule sur ma droite. Puis sur ma gauche. Puis de nouveau sur ma droite.

Impossible de m'endormir. 

Je me force tout de même à fermer les paupières. Le silence ne fait qu'intensifier le bourdonnement dans mon oreille gauche. Sans les ronronnements de mon chat, sans les bruits du bois qui travaille, la télé allumée et mon paternel qui se sert un verre dans la cuisine, je n'arrive pas à me créer de bulle protectrice. Le marchand de sable ne viendra pas me vendre son sommeil ce soir. 

Je décide de jeter l'éponge et me saisit du journal de Keysha qui me reste dans mon sac. James me l'a redonné, heureusement. Il me reste à peine deux pages, et je l'ai fini. Mon seul dégoût provient du fait que celui de ma mère est perdu à jamais, emporté par un inconnu cambrioleur. Et le pire est que je ne pourrai jamais le rechercher, car si jamais j'en parle à mon père il faudra déballer toute l'histoire sur ces deux carnets. 

Je tourne le journal de Keysha gardé par Céline dans mes mains. Il est plus lourd que l'autre, sans doute à cause des dessins supplémentaires. Car celui que j'ai montré à Jenny n'est pas le seul ; il y en a plein, tous dans le même style. Quelques vieilles photos de mauvaise qualité les côtoient. Sur la tranche et sur certaines pages, des taches de sang séché, dernier vestige corporel de Céline, tapissent le papier. 

Voir le sang me fait songer à l'enterrement. Les trois se sont déroulés dans l'intimité, avec une minute de silence faite les jours où j'étais à l'hôpital. Dans l'ensemble, les policiers n'arrivent à trouver aucune preuve, aucun indice. L'enquête sera bientôt close. 

Je tourne les pages et me replonge dans ma lecture. Une jeune fille y est interviewée, sur un sujet que je ne comprends pas. Les questions sont raturées, les réponses évasives. Quel article préparait donc mon amie du club journal? 

CRAC

Le bruit me fait bondir. Paniquée, je plonge sous mes draps. Ma respiration s'arrête.

Des bruits de pas se ramènent vers la chambre. 

Le cœur au bord des lèvres, je murmure: 

— Jenny...?

— Chut. 

La voix de mon amie est tendue à l'extrême. Ce n'est pas elle qui marche. Et à l'évidence elle ne reconnaît pas la façon de marcher. 

Planquée sous mes couvertures je m'efforce de respirer le moins possible. Un craquement plus proche arrête mon cœur. À travers le fin tissu, je vois quelqu'un se pencher sur nous. Ma respiration se bloque. Une main gantée farfouille dans mon sac, puis pénètre mes draps. La personne cherche un objet, et elle le pense avec moi. Mais je n'ai rien de valeur, à part...

Le journal de Keysha. 

C'est pas vrai. Mince.

Je le serre contre moi le plus fort possible. La main atteint mes bras crispés, tâte la reliure usée.
Avec le plus de hargne que je possède j'enfonce mes ongles dans la chair de la personne. Un grognement étranglé suivi d'un juron murmuré retentit au dessus de moi ; l'intrus retire sa main. Je ferme les yeux de toutes mes forces, à deux doigts de vomir. Je sens qu'on arrache les draps, je vais mourir, on va me voler le journal, ce sera fini de tout...

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant