Chapitre 36 - Val

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 — Papa! Arrête!

Poings serrés, je me tiens debout dans la lumière, afin qu'il me voit bien. 

La scène d'horreur à laquelle j'assiste manque de me faire perdre mes moyens, mais je réussis à garder une complète maîtrise de moi-même. 

En bas des escaliers, devant sa salle de cours, Perez plaque ma meilleure amie au sol, lui maintient la tête par terre, l'empêchant probablement de respirer, et de sa main scarifiée lui entaille le cou. Même dans la faible luminosité, je peux apercevoir le sang qui dégouline et tache les vêtements de Jenny. 

Perez secoue sa main pleine de sang, projetant des goutelettes partout autour de lui. Il relâche Jenny, se relève, et s'approche de moi, les mains levées en signe de paix. Ses yeux sont noirs, entièrement sombres, impossible de retrouver le gris familier et rassurant que je connais. 

Je ne bouge pas de ma place en hauteur, tout en haut des escaliers. 

Perez avance vers moi, les traits de son visage s'adoucissant au fur et à mesure qu'il se calme.

— Val! Tu vas bien? Tu es partie d'un coup... j'ai eu... peur qu'il te soit arrivé quelque chose de grave. 

— Papa, je fais d'un ton neutre. Je suis partie parce qu'il m'est arrivé quelque chose de grave. Tu m'as blessée. Et là, c'est à Jenny que tu fais peur. Arrête ta folie immédiatement. 

Perez continue à marcher vers moi. Il pose un pied sur la première marche, fais mine de monter. Je reste figée, posture calme et en apparence détendue. C'est un petit tour que j'ai appris à force de l'observer. On peut avoir l'air tranquille tout en bouillonnant à l'intérieur. 

— Val... vous n'avez aucune raison d'avoir peur. Tu sais que je ne te ferai jamais de mal, non? Tu es mon enfant. Je te protège. Et je serais toujours là pour toi. 

Il est enfin à ma hauteur. Sa main passe sur ma joue, prend mon visage en coupe. Son pouce trace de petits cercles rassurants sur ma peau, étalant le sang de Jenny sur moi. Je penche légèrement la tête, les iris fichés dans les siens. Ma figure se reflète dans ses yeux assombris. J'ai l'air mortellement calme ; j'ai l'air qu'il arbore lui-même. 

Je repense aux mots de Loona, au dégoût sur son visage. Pas étonnant qu'elle refuse de me voir comme sa fille ; je ressemble de plus en plus à mon père. 

— Je te protègerai toujours, répète dans un souffle Perez.

Sa main se déplace pour venir à l'arrière de mon crâne, dans le même geste que celui qu'il utilisait pour maintenir Jenny au sol. Il appose son front contre le mien, yeux fermés. 

Pendant un instant, j'ai envie de le croire. J'ai envie de lui faire confiance, de redevenir sa fille, celle qui n'avait pas peur de lui et qui n'avait pas conscience de ses problèmes. Je veux redevenir celle que j'étais avant toute cette histoire. 

Mais on ne peut pas réécrire le passé, et oublier tout ça serait une trahison envers Loona et les autres victimes. 

Sans me dégager, je souffle:

— Mais qui me protègera de toi, papa? 

Et je le repousse. 

Pas violemment, mais assez pour qu'il ne me touche plus. 

Pour la première fois, j'aperçois enfin un air de perplexité sur son visage. 

— Pourquoi aurais-tu besoin d'être protégée de moi?

— Demande à Loona, je rétorque. 

Il se fige. Ses traits se tordent, ses yeux s'assombrissent de plus belle. Ses poings se ferment. Ses dents apparaissent. 

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