Chapitre 4 - Jenny

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— Ça va pas, ça va pas, ça va pas...

Je fais les cent pas, tête entre les mains. La situation dépasse mon entendement, à un point que je n'aurais jamais cru possible. D'habitude, je suis douée pour analyser les cas difficiles de la vie, mais en ce moment je n'ai pas l'esprit clair et ça...

Ce n'est pas que je n'aime pas le meurtre, attention. Je me suis souvent demandé ce que ça ferait, de mettre un terme à la vie d'une personne, d'un être vivant qui respire comme moi et qui peut penser comme moi, mais je ne passerai jamais à l'acte. Jamais. 

À côté de moi, Valencia respire fort. Elle n'est pas du genre à faire des crises de panique, mais je sais ce qui lui est arrivé il y a quelques temps ; comment sa mère est morte, et ce qu'elle a dû faire. Ça doit être horrible de se remémorer tout cela comme ça, sans prévenir. 

Nous nous trouvons au dessus des salles de physique, à côté des salles d'SVT, à notre repaire fétiche. Nous venons là à chaque fois que nous avons cours de sciences. Cet endroit a le triple avantage d'être surélevé par rapport au reste du lycée, d'être relativement isolé des lieux de rassemblement habituels et de posséder une vue magnifique. Le lycée étant construit en hauteur par rapport à la mer, nous pouvons voir l'océan de là où nous sommes. Pour l'instant, notre coin préféré me permet d'observer ce qu'il se passe en bas. 

Les surveillants débordés n'arrivent pas à contenir la marée des élèves paniqués, qui tentent par tous les moyens de fuir la scène du crime. Je comprends que cela puisse être horrible, mais franchement, moi, si il n'y avais pas eu Val, je serais resté regarder. Rien que pour pouvoir narguer mon père. 

Ah. Mince. J'avais oublié que je ne lui parlais plus. 

Quelques profs essayent d'aider les surveillants. La principale appelle la police, les CPE courent partout, l'infirmière pose son doigt sur le poignet du cadavre pour prendre le poul - ce qui est idiot. Ça se voit clairement que cette fille est morte depuis longtemps. Comme quoi, dans ce genre de situations, les adultes redeviennent des enfants désoeuvrés et impuissants. 

Parmi les profs, je repère notre cher professeur de physique, Perez. Ce type est étrange ; et je n'ai jamais réussi à déterminer si c'était dans le bon ou le mauvais sens. Quelques rumeurs circulent sur lui, mais rien de vraiment compromettant. Enfin, je trouve cela étonnant que le cadavre soit juste devant sa salle. Comme par hasard. De plus, il ne paraît pas réellement étonné ou affecté ; il se tient droit, bras croisés, comme toujours. Il a l'air simplement ennuyé par ce contretemps.

Bizarre, celui là.  

— Jenny! Arrête ça, je vais vomir!

Je cesse soudainement de faire les cent pas. C'est vrai, il faut que j'abandonne cette habitude stupide. Valencia semble s'être reprise, son sourire fétiche est de retour. Accoudée contre la barrière de sécurité qui nous empêche de plonger, elle croise les bras, elle aussi, comme Perez, et a enfin cessé de trembler. 

— Tu n'as plus rien dans l'estomac, je souris. Tu as de la chance que j'ai une compote dans mon sac. 

Je m'approche d'elle, prenant une mine sérieuse, et la saisit par les épaules. 

— Tu es sûre que ça va?

Val hoche la tête, décidée. Je tente de ne pas fixer les poches sous ses yeux bleus-gris, mais c'est dur. Bon. Si Val dit que ça va, ça va. 

— Rien de tel qu'un meurtre pour commencer la journée, Jenn's! rétorque-t'elle. 

Le surnom me fait sourire. Si elle est capable de plaisanter de nouveau, c'est qu'elle est remise. On va pouvoir passer aux choses sérieuses. Je vois qu'en bas, les policiers commencent à arriver et déplacent le corps - ça se sent qu'ils n'ont vu aucune série policière, eux. On ne déplace jamais un corps avant l'enquête, bande d'incompétents!

Brusquement, une idée me frappe encore plus violemment que cette fille n'a été frappée à la tête. Si les policiers ne savent pas mener l'enquête, alors nous...

— Bien dit, Val, je réplique en utilisant le diminutif de Valencía. Maintenant, ça te dirait de... 

— Nous prendre pour Sherlock et John? comprend Val. 

Ses yeux s'écarquillent, de peur ou bien d'excitation, je ne saurais le dire. Puis, finalement...

— Évidemment ma vieille! Ça m'aidera peut être avec... enfin tu vois. 

Je souris à mon tour. Enfin. Le moment que j'attendais depuis toujours est arrivé. Nous entrons dans le monde des adultes. Toutes les deux. Ensembles. Et en force, en plus. 

Valencia se saisit de ma main, les yeux devenus d'un gris triste. Je comprends qu'elle a une idée, mais une idée qui la répugne. À mon avis, elle a déjà un suspect en tête. 

— J'ai déjà un suspect en tête, m'annonce t'elle au même moment. 

Bingo. 

— Qui ça? je demande pour la forme - je suis sûre que nous avons pensé à la même personne. 

— Je te le dirais après. Je crois qu'ils vont nous rapatrier chez nous. 

En effet, la CPE arrive avec un gros microphone. Sa voix tremblotante du choc, portée par la machine, parvient jusqu'à nous. 

— Votre attention s'il vous plaît. Nous allons appeler vos parents pour qu'ils viennent vous chercher. En attendant, ne vous dispersez pas. 

Et c'est tout. Nous sommes sauvagement laissés à nous même. 

Je me saisis de la main de Valencia et l'entraîne vers le bas, pour apercevoir la victime une dernière fois. Nous n'aurons sûrement plus d'autres chances après, alors il faut en profiter maintenant. 

Malheureusement, elle est déjà sous un drap noir. Nous ne connaîtrons jamais son nom, son visage ou sa raison d'être morte. Quel dommage. 

Pourtant, par terre, là où elle se trouvait plus tôt, une tache de couleur attire mon regard. Je fais signe à ma meilleure amie de me suivre et dévale les escaliers pour aller voir de plus près. Accroupie sur le sol, je dégage d'un buisson un bracelet en cuir rose, maculé de sang. Il était tellement bien planqué qu'il n'était visible que de là où nous étions. Comme par hasard. Comme si c'était notre destin depuis le début. 

Je croise le regard de Perez, toujours pas parti. Celui de Valencia, qui affronte notre prof de physique mentalement - je reconnais ce regard, elle tente la télépathie. Elle et Perez s'entendent aussi bien que possible, compte tenu de leurs situations respectives, mais ça ne l'empêche d'avoir parfois des soupçons envers lui. Elle me fait un signe discret. 

Et je fourre notre potentiel indice dans ma poche. 

                                                                                  ° - °     :)     

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant