Chapitre 11 - Val

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La maison n'a pas changée d'un poil depuis que je suis partie. 

Enfin, je suis partie il y a à peine quelques heures, mais je me comprends. 

En arrivant, je vois que la voiture de Pierre-Yves n'est plus là, et que celle de mon père la remplace. D'ailleurs, je le vois de loin, à son endroit préféré. Je traverse rapidement le jardin, une boule au ventre. Je me rappelle l'époque où il était là tout le temps, après la mort de maman. Comme quoi, l'histoire a tendance à se répéter. 

Sans bruit, je dépose mon sac, qui contient le précieux journal : notre deuxième indice, et traverse la maison pour aller rejoindre mon père. J'espère qu'il va bien, que sa journée n'a pas été stressante - enfin, pas trop

Je le trouve affalé sur une chaise, cigarette à la bouche et regard dans le vague. Je comprends immédiatement que quelque chose ne va pas ; d'ordinaire, il met un point d'honneur à se tenir droit, pour ne pas dire guindé. Lorsque je me plante devant lui, il retire sa clope et souffle dans ma direction un lourd nuage de fumée. 

Je toussote et proteste, tout en balayant l'air de mes mains:

— Eh!  Je vais finir par devenir fumeuse passive, avec toutes tes conneries!

— Crois moi, tu l'es déjà depuis longtemps, fait mon père en haussant les épaules. Allez, Val, c'est pas un peu de fumée qui va te tuer. 

Tout en parlant, il se lève et m'agrippe le bras. Je ne dis rien, même lorsqu'il se rassoit et m'attire sur ses genoux. Pour lui qui n'est pas tactile, une telle démonstration d'affection est étonnante. Encore plus étrange, il me serre contre lui de toutes ses forces, tellement que j'ai peur que mon corps lourd n'écrase le sien, maigre à l'excès. Je réalise, en sentant son souffle près du mien, qu'il a bu de l'alcool, et pas qu'un peu. Ça explique son affection soudaine. 

Je me tortille légèrement, mal à l'aise. J'ai l'impression désagréable qu'il va faire une grosse bêtise. Et en plus, ses genoux osseux ne sont pas confortables. 

Mon père continue à fumer sans plus se préoccuper de moi, même si la prise qu'il a sur mon bras ne faiblit pas. Je finis par briser le silence, d'un:

— Alors? Tu as des nouvelles? 

Ce qui n'était pas la chose à dire. D'un geste brusque, il tire sur mon bras, me faisant tomber sur son torse. Le visage à quelques centimètres du mien, il grogne, maintenant furieux:

— Tu n'as rien de mieux à faire que de me casser les pieds? Allez, tire toi! Fiche moi la paix! 

Mes yeux s'écarquillent. J'ai ma réponse ; les nouvelles doivent être très mauvaises pour qu'il soit dans cet état. Je n'ose pas réagir plus, et me recule lentement, jusqu'à tomber par terre. Mon père ne me retient pas, et se contente de me fixer de ses yeux gris et froids. Un voile de fumée masque peu à peu son visage, ne laissant que son regard d'apparent. Une lueur dedans m'incite à courir dans ma chambre le plus vite possible, et fermer la porte à clé, ce que je fais.

Une fois en sécurité, je me laisse glisser le long de la porte, terrassée par le chagrin. Me voilà revenue du temps où je craignais de sortir de ma chambre, où chaque mot de travers pouvait déclencher un ouragan. Pour une fois, je comprends Jenny et ses colères envers son paternel. Ce n'est pas facile de vivre avec quelqu'un qui s'emporte pour rien.

Je ferme les yeux et observe ma chambre dans un désordre indescriptible. De la poussière s'accumule sur les étagères, mes bouquins s'entassent anarchiquement, et mon chat Hannibal a apparement profité de mon absence pour venir dormir sur mon lit défait, à en juger par la quantité de poils que j'aperçois. Je ferai mieux de ranger, avant que mon père ne vienne me reprocher mon bazar. J'entreprends de pousser sur les côtés mes piles de livres, de ramasser mes crayons qui traînent par terre, de trouver une place pour chaque chose. Il y a quelque chose de réconfortant dans cette activité ; je ne pense pas, j'exécute sans réfléchir. 

Mon doigt bute sur quelque chose de dissimulé sous mon lit. Je m'allonge pour regarder, mais, ne voyant rien, je remonte et étire mon bras. Avec un grognement, j'attire à moi... un carnet.

Relié de cuir, d'apparence vieille, il semble receler toute la connaissance du monde. J'époussette sa couverture, songeuse. À qui peut il bien appartenir? Ce n'est pas un des miens ; mes carnets de dessins sont tous étalés sur mon bureau et mes notes pour mes histoires sont sur internet. Peut être que c'est celui de ma mère? Elle a en avait beaucoup, elle aussi. 

Un post-it plaqué en début du carnet, recouvert d'une écriture manuscrite que je reconnais immédiatement, me confirme ma première impression. Je déchiffre avec peine les pattes de mouche - ma mère était mariée à un prof de physique, son écriture incompréhensible a dû déteindre sur elle - tout en me jetant sur mon lit. 

Avec stupeur, je réalise que c'est une lettre, et que, encore plus bizarre, elle m'est adressée.

Valencía Loona Perez. J'ai caché ceci sous ton lit, sachant qu'étant donnée ton organisation des plus efficaces tu mettrais longtemps à le trouver - d'ailleurs, combien de fois t'ai-je dis de ranger? J'espère que tu as mis assez longtemps, que tu as au moins plus de vingt ans à présent, car tu vas devoir faire face à des vérités atroces. 

C'est raté, maman, je pense. 

Curieuse, je continue ma lecture, absorbée. Je me demande ce que ma mère voulait me dire, et surtout, pourquoi elle ne me l'a pas dit avant, de vive voix. 

Je voulais te les dire moi même, mais il ne me reste plus beaucoup de temps et je ne veux pas que tu entendes ça maintenant. Tu es trop jeune... enfin, j'imagine que pour un parent son enfant ne sera jamais assez âgé. Bref. Val, tu es en danger. Bientôt, des meurtres se produiront - ou se sont déjà produits, selon l'époque où tu liras ma lettre. Je parie que la première, enfin la première que tu connais, a été une fille du nom de Keysha Libel. 

Je lâche le carnet. Il atterrit avec fracas sur le sol. De l'autre côté de la porte, mon père toque et demande, d'une voix toujours ferme malgré son état d'ébriété: 

— Val? C'était quoi, ça? 

— Rien papa, je range, c'est tout! je hurle pour ne pas être dérangée. 

— Eh bien, ça c'est assez rare pour être noté! ironise mon paternel, ce qui me fait lever les yeux au ciel.

J'entends ses pas se diriger vers le salon, probablement pour entamer ses copies - nous avons fait une évaluation il y a peu. J'ai peur de voir ma copie. La physique-chimie n'est pas mon fort. Je préfère les matières littéraires, bien trop sous-estimées à mon goût. Mais bon, selon mon prof de physique/mon père, rien ne peut concurrencer  la « seule vraie matière », comme il dit. 

Je reprends ma lecture, perturbée. 

Cette fille et moi avons travaillées ensembles pour un projet particulier. J'ai retranscris nos avancées dans le carnet que tu tiens entre tes mains. Je veux que tu refasses le même chemin que moi, pour t'éviter une révélation trop brutale. Mais prends garde. Ils ont sûrement enlevés des morceaux lorsqu'ils l'ont trouvés, il y a un mois. Je n'ai pu te faire parvenir que la version altérée. Pardonne moi cela. Vis la plus belle vie possible. 

Je t'aime, ma chérie. 

Ta mère, Julía Perez. 

Je déglutis, les yeux pleins de larmes. Ce carnet était sous mon lit, à portée de main, tout ce temps. Dedans, il y a sûrement des réponses concernant son suicide, même si il me semble contenir autant voir davantage de questions. Qui sont ces «  ils »? Pourquoi voulait t'elle que j'attende? Quelles sont ces révélations? 

Tout d'un coup, un étau se resserre autour de ma gorge. 

J'ai l'impression que Jenny et moi avons mis le pied dans bien plus grand que ce que nous avions imaginé. 

                                               °–° ;)

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant