Chapitre 32 - Val

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Le téléphone sonne une bonne dizaine de fois avant que je ne me décide à décrocher.

Confortablement installée à la table à manger, je planche sur mon DM de français. Comme toujours, les mots me viennent si facilement que je me permets de laisser mon esprit vagabonder en même temps. Dehors, la pluie de fin d'été clapote sur les feuilles de notre manguier. La lumière orangée de fin de journée projette sur ma copie des fragments lumineux de l'automne de métropole, que je n'ai pourtant jamais eu l'occasion de voir.

Il ne manque qu'un morceau du groupe Cigarettes After Sex pour parfaire le moment. Mais mon père refuse catégoriquement que je travaille en écoutant de la musique, alors je me contente des sonneries répétitives du téléphone fixe.

Ce dernier est assis en face de moi, la tête appuyée sur sa main gauche, la droite étant occupée à asséner des mauvaises notes à ses élèves. Je n'ai pas bien suivi si ce sont ses terminales spés ou ses premières spés, mais je pencherai plutôt pour sa classe infernale de STI2D à en juger par ses soupirs intempestifs.

Il est aussi fatigué que moi, aujourd'hui. Il a probablement passé la nuit à s'enfiler des bouteilles d'alcool, car lorsqu'il est arrivé au lycée ce matin il tirait son expression des mauvais jours. L'histoire du cambriolage chez les Mikkaelson n'a pas arrangé les choses. Au repas, tout le monde a pu les entendre se hurler mutuellement dessus - enfin, techniquement, Mikkaelson hurlait et Perez grinçait des dents sur un ton froid. À présent, je ne serai plus jamais autorisée à aller dormir chez eux, j'irai chez Pierre-Yves et mes demis-frère et soeur.

Pas que cette perspective ne m'enchante pas - même si je ne connais que peu mon beau-père, je les aime tous - mais je préfèrerai rester avec Jenny, surtout si elle court un danger.

Le téléphone s'est enfin arrêté de sonner. Je me force à me reconcentrer sur mes procédés d'analyse de texte, interrompue de temps en temps par les grommelements de mon père, qui râle contre le bas niveau de ses élèves.

— C'est pas possible, on ne vous apprend vraiment rien au collège, gronde t'il à mon encontre.

J'hausse les épaules. Au collège, nous avions le choix entre Jacques, surnommé par ses élèves "le descendant de Marc Dutroux", et une folle que nous soupçionnions tous d'être dans une secte, avec ses "remémoratiiiiiiiooooooons" à chaque début de cours. Alors non, nous n'avons jamais réellement appris de choses intéressantes au collège.

— Tu sais ce qu'il en était dans notre collège, je fais sans relever les yeux de mon commentaire de texte.

— Je constate qu'en effet, surtout dans ma seconde, ce n'est pas brillant, grogne Perez en barrant une mauvaise réponse. Tu as intérêt à remonter la pente, jeune fille. Si tu acceptais que je t'aide...

— Certainement pas, je rétorque aussitôt. Tu ne m'aides pas, tu te contentes de me dire "mais si, c'est facile!" pendant que je confonds les 6 et les 9 de tes calculs.

— Pourtant c'est bel et bien facile, me détrompe Perez. C'est juste que tu ne m'indiques pas ce que je dois changer dans ma méthode de travail pour que tu comprennes. Je sais que tu as des difficultés particulières, mais si tu ne me dis pas lesquelles je ne peux rien faire! Oh, mais qu'est ce qu'il m'emmerde celui là!

Avec énervement, Perez se saisit de son téléphone portable, qui a prit le relai du fixe et sonne avec insistance. Il écoute un moment ce que la personne au bout du fil a à lui dire, avant de me fixer intensément. Je me trémousse sur ma chaise, mal à l'aise.

Au bout d'une poignée de secondes il me tend son appareil électronique en me recommandant de ne pas le faire tomber - plus petite, moi et ma maladresse avions lâché par mégarde les assiettes de mariage de ma grand-mère. Depuis, mon père fait toujours attention à ce qu'il me passe.

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant