Chapitre 24 - Jenny

37 3 8
                                    

Le temps semble s'être suspendu. 

Je vois ma meilleure amie se figer. Cela fait près d'un an que nous n'avons pas revu notre ancien professeur de physique-chimie, mais ça fait trop peu. J'aurais préféré ne jamais le revoir de toute ma vie. 

Je recule instinctivement vers nos amis, mais ils sont tous trop occupés à parler avec les troisièmes. Les profs discutent entre eux, pas moyen d'attirer leur attention. Nous sommes seules face à la deuxième plus grande menace après Perez. 

Notre ancien prof de physique ressemble vaguement au croisement improbable entre un buldozer, d'où il tient sûrement sa carrure, et un bouledogue, qui se lit sur les traits de son visage bouffi. Ses yeux sombres et ses cheveux rasés lui donnent un air d'ancien détenu, ce qui est en réalité parfaitement seyant étant donné qu'il a fait de la prison pour corruption de mineures. Pendant un temps, les collégiens et leur méchanceté enfantine l'avaient surnommé « Marc Dutroux », mais à notre âge ce n'était qu'une plaisanterie. Nous ne nous sommes rendus compte de la réelle gravité de ses actes qu'en troisième, alors que Val était devenue sa nouvelle cible. 

Heureusement, nous ne l'avons pas revu depuis pas mal de temps, ce qui nous va très bien. Je me rappelle qu'une fois, je l'avais croisé dans un supermarché, mais j'avais eu le temps de me planquer derrière un rayon. 

Jacques - c'est son nom de famille et pas son prénom, comme nous l'avons appris en quatrième - s'avance vers nous. Immédiatement, je pousse Val derrière moi. Dans mes souvenirs elle était sa cible principale, moi je ne suis qu'un supplément. Il vaut mieux qu'elle reste loin de lui. 

— Bonjour, jeunes filles. Ça fait longtemps. Trop longtemps.

Sa voix m'irrite, moins que celle de Perez mais déjà trop. L'entierté de son être est malsain. Là où Perez est aussi toxique qu'une datura mais présente bien, Jacques n'a pas l'avantage du deuxième point. Je plisse le front et prends ma meilleure pose intimidante. 

Allez, Jenny, tu as résisté à ton père, trois meurtres sans compter notre potentielle non-suicidée, une course-poursuite dans les escaliers et une quantité d'évaluations de physique, tu peux bien tenir tête à un abruti. Ne fais pas ta Val, je m'exhorte. Au contraire, montre lui que tu peux la protéger. Montre à ton père que tu n'as peur de personne.

Je croise les bras, relève le menton et me mords la lèvre inférieure. Val lève un sourcil et me tapote l'épaule, interdite. 

— Jenny... tu me fais quoi là? 

— Je te protège, j'explique du coin des lèvres, concentrée sur Jacques qui semble à deux doigts d'éclater de rire tant ma tentative d'intimidation est efficace. 

J'entends la rousse glousser, ce qui ne contribue pas à me rendre impressionnante. 

— Je fais donc si peur que ça? demande Jacques en se rapprochant de nous. 

— Non, je le détrompe en espérant que ma voix soit assez assurée. Mais vous connaissez les talents en socialisation de Valencía, je préfère parler à sa place. Surtout à vous, elle risque de dire quelque chose qu'il ne faut pas. 

Jacques s'arrête à approximativement dix centimètres de moi. Je me force à ne pas regimber. Le mètre soixante-quinze de notre ancien prof de physique m'oblige à tendre le cou pour ne pas me casser le dos. Je maudis ma petite taille héritée de mon paternel.  

— Et moi je préfère parler à Valencía, rétorque Jacques en m'écartant doucement de la main. 

Éberluée par son insolence, je ne résiste pas et me laisse pousser. Val est maintenant à découvert. Elle me lance un regard à la fois désespéré et blasé. Je hausse les épaules pour lui montrer que je n'y peux rien. 

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant