Chapitre 31 - Jenny

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— Jehan Perez?!

Le jeune homme en face de moi croise les bras, oscille de la tête avec un air ironique qui rappelle étrangement Perez, son père. D'ailleurs, il partage certains de ses traits ; la même mâchoire triangulaire, la même expression désabusée, bien que j'eus plus vu Perez sourire que Jehan. Mais le reste vient sans aucune hésitation de sa mère. De tous les enfants de Perez, seule Valencía n'a que peu de ressemblances avec Julía.

Les gènes de Julía devaient être plus fortes que celles de Perez, je ricane intérieurement. Voilà au moins une victoire que ce dernier n'a pas eue.

— Jenny Mikkaelson, je suppose? me rétorque Jehan avec un soupçon d'ironie dans sa voix traînante.

J'acquiesce sans pouvoir me détourner de lui. Ce n'est pas mon genre de gars, mais on ne peut pas nier qu'il a obtenu le meilleur de sa mère et de son père. Tout comme Perez, il donne envie de l'écouter pendant des heures, et tout comme Julía il pousse à se confier sans détours. Val a beaucoup de chance d'avoir un tel spécimen pour frère...

Enfin, il serait bien mieux sans cette balafre sur le côté droit du visage.

Valencía ne l'a pas raté, je songe en observant la cicatrice avec attention. La marque est creusée dans la peau, rose pâle sur la carnation hâlée de Jehan. Avec ses bords sans aspérités, on peut facilement retracer le coup : sec, rapide et précis. Du vrai travail de professionnel.

La dernière fois que j'avais vu Jehan, à un repas de famille où Val m'avait invitée, il portait un cache-œil en cuir noir. Aujourd'hui, son œil borgne est découvert et fixe le vide. La pupille marron est devenue translucide, cachée par un voile aveugle. Le jeune homme a eu beaucoup de chance de ne pas avoir eu l'oeil coupé en deux, mais la cornée a tout de même subie des dégâts, à en juger par l'état de son globe oculaire.

— Bon, tu as fini de mater mon frère?

Je sursaute, rappelée à la réalité par la voix agacée de la fille derrière Jehan. Je me force à détourner le regard du frère pour me concentrer sur celle que je devine être la sœur. Elle n'est pas mal non plus, même si les filles ne sont pas mon truc. Elle ressemble à sa cadette Anna, qui tient elle aussi énormément de sa mère. Ses cheveux bruns, plus foncés que ceux de son frère, sont coupés en un carré qui lui chatouille les épaules. Elle a beaucoup d'allure, dans ses vêtements chics. 

Contrairement à Val, qui pourrait aisément passer pour un garçon de loin, Clara est sans aucun doute possible une femme. Une pointe de jalousie me prend. J'aurai beau essayer, je n'atteindrai jamais un tel niveau de confiance en moi et une féminité aussi à l'aise. 

— Je ne le matais pas! je me défends immédiatement. Il ne m'intéresse pas, ton frère! Et puis, c'est vous qui venez toquer à ma porte à 19 h, alors j'estime avoir le droit de vous regarder comme je veux!

— Ah oui, Haylee nous avait prévenus que tu étais un peu soupe au lait, ricane la fille.

— Je ne suis pas- je proteste, avant de m'arrêter et de revenir sur ce qu'elle vient de dire. Comment tu connais ma mère?

— C'est justement pour t'expliquer tout ça qu'on est là, soupire Jehan en repoussant sa sœur pour entrer. Tu nous invites à prendre un café ou pas?

Sidérée, je m'écarte pour laisser entrer la fratrie. Jehan m'ignore proprement et file vers la cuisine pour se servir un café. Ses gestes sont précis et il sait très bien où se trouve chaque ingrédient. À croire qu'il est déjà venu ici.

Sa sœur, elle, reste en retrait. Sa posture légèrement recroquevillée sur elle-même me fait penser à Val. Elles ont beau ne pas avoir masse de traits en commun, on devine facilement qu'elles sont de la même famille.

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant