Chapitre 35 - Jenny

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Au fur et à mesure que j'attends, la colère monte. 

Elle gronde en moi, me rend muette et fébrile. Mes poings tremblent à force de la contenir à l'intérieur. 

J'attends, seule dans le noir, comme le jour où Valencía et moi avons découvert le corps de Céline Grondin. Mais à la différence de la dernière fois, ce soir, je n'ai pas peur. 

Ce soir, c'est à lui d'avoir peur. 

Debout devant sa salle, je me tiens debout, bras croisés, la posture qu'il aime arborer pour intimider les autres humains. Je n'ai eu aucun mal à rentrer dans le lycée ; l'alarme installée afin de prévenir de nouvelles intrusions avait été curieusement désactivée avant mon arrivée. 

Maintenant, j'attends. 

Un mouvement me sort de mes pensées. Une ombre se détache des autres, marche vers moi. Je me force à ne pas bouger, magré la fureur qui m'habite. J'essaie de garder une figure froide et déterminée, mais c'est dur, c'est tellement dur alors que je voudrai tout casser autour de moi. 

Perez descend les escaliers, d'une démarche calme, bien trop calme. On dirait que c'est naturel pour lui, de se déplacer dans le noir complet. Moi-même je me suis cognée à plusieurs marches en venant. Je n'avais jamais vraiment fait attention avant, mais ses mouvements fluides rappellent un chat, un félin prêt à fondre sur sa proie sans prévenir. 

Il s'arrête à un bon mètre de moi. Tête penchée, il m'observe sans rien dire. Le détecteur de lumière présent dans la salle derrière nous s'allume, me permettant de mieux distinguer mon adversaire. La faible luminosité lui confère un aspect sinistre, fantastique, un esprit maléfique tout droit sorti des enfers. 

Val aurait pensé immédiatement à un skinwalker ou un Wendigo, mais je ne suis pas Val et tout ce que je vois c'est un humain, un vrai humain monstrueux qui mérite de mourir et de souffrir comme il a fait souffrir ses victimes. 

— Alors... tu voulais me voir, jeune Mikkaelson. 

Le son de sa voix, plus rauque et grave que d'habitude, suffit à me hérisser. Sans bouger, je rétorque, de mon meilleur ton acerbe:

— Je pense que vous et moi avons pas mal de choses à nous dire. 

Perez croise les bras. Une mèche de ses cheveux gris lui retombent devant l'oeil, mais il ne fait aucun geste pour la dégager. Il se contente de me fixer de son regard dérangeant. Malgré l'ombre, je remarque que ses iris sont très dilatés, ce qui donne l'impression que ses yeux sont intégralement noirs. 

Ce n'est pas la première fois que j'observe ce phénomène, mais pour une raison obscure cela me met encore moins à l'aise que d'habitude. Il n'a pas l'air en colère, il est à peine fatigué, hors ce sont les deux seuls cas où ses yeux deviennent sombres comme ça. 

Quelque chose ne va pas. 

Mais je suis trop prise dans ma crise pour me raviser. Il faut que je me libère, il faut que la colère quitte mon corps pour que je me sente enfin mieux. Je ne peux pas continuer comme ça. Je ne peux pas. Et je ne le laisserai pas continuer non plus. Pour lui, l'aventure s'arrête là. 

Je relève le menton, prends un air supérieur. Il n'a aucune réaction. 

— Je commence. Tout peut très bien se finir entre nous, si vous coopérez. Vous vous rendez à la police, et on en reste là. Ou alors... ou alors je vous forcerai à le faire. 

Un silence s'éternise. 

On pourrait entendre une mouche voler. 

— Aaah. C'est donc pour ça que tu voulais me voir. Tu comptes m'accuser des pires horreurs puis m'obliger à me rendre à la police. Tu n'aurais pas pu choisir meilleur endroit? On aurait tout aussi bien pu en discuter autour d'un café sur le canapé, tu sais. Ici, c'est... comment dire... j'ai l'impression que tu essaies de m'intimider. Je me trompe? 

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant