Chapitre 7 - Val

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En sortant de la voiture de mon père, je me prends les pieds dans le revêtement de notre trottoir et fait la rencontre du sol dur. Mon paternel me tend la main en levant les yeux au ciel, un petit rictus moqueur aux lèvres, pour m'aider à me relever. Je la saisis avec un sourire de gratitude. 

Perez m'époussète gentiment, s'attardant un peu trop longtemps sur certaines parties de mon corps à mon goût. Depuis que je suis petite, il a toujours été très - trop - tactile, principalement avec ses élèves filles, alors qu'à l'inverse il se tient le plus loin possible de moi. Ni lui ni moi n'appréciont le contact, surtout non désiré, mais lorsqu'il se montre câlin, je ne rechigne pas. Je ne fais que tiquer quand il effleure ma peau.  

— Allez, rentre, m'enjoint mon père. 

Il accompagne son injonction d'un geste de la main brusque ; il me lance les clés de devant. Je les manque d'un bon centimètre, ce qui le fait se gausser . 

— Un de ces jours, tu rateras même ton but dans la vie. 

— Très drôle, je rétorque. Je sais d'où je tiens mon humour dévastateur.

Mon géniteur me lance un regard d'avertissement, ce qui peut signifier deux choses : soit il s'apprête à me rabrouer, soit il cherche à me taquiner. J'amoncelle mentalement mes meilleures répliques, afin d'avoir de quoi renchérir si il choisit la deuxième option. Je n'en ai pas besoin. Perez désigne la porte d'entrée, avant de se tourner vers sa voiture. D'un air ennuyé, il m'explique:

— Je dois repartir. À cause de tout ce foutoir, la principale et la police voudront voir toute l'équipe pédagogique, et malheureusement j'en fais partie. Reste bien à l'intérieur, n'ouvre à personne, et si jamais tu as besoin de quelque chose, mon téléphone reste allumé.

Je décoche mon meilleur sourire encourageant. Je sais que mon père déteste devoir parler à d'autres personnes, encore plus des adultes. Ceux là doivent voir quelque chose de tordu en lui, car dès qu'il entre dans une pièce les pires rumeurs circulent sur lui. Je ne m'en rendais pas compte avant d'entrer au lycée, dans le même lycée que lui, mais ses collègues sont tous convaincus qu'il est un dangereux prédateur, capable de s'attaquer n'importe quand à nous. Même les élèves partagent ce point de vue. 

C'est vrai qu'il peut être franc et difficile à vivre, mais jamais il ne s'en prendrait à des jeunes. La preuve, il ne reste jamais après les cours, il se dépêche toujours de partir fumer ou de rentrer à la maison. Comme si il a peur de nous faire du mal. C'est donc qu'il a un bon fond, non? 

Ou alors c'est juste qu'il déteste parler à ses élèves. C'est possible aussi. 

Je repense à la fille morte devant sa classe. À son visage lorsqu'il la regardait. Je revois l'enterrement de maman, la figure qu'il faisait. Je n'ai jamais su si il était réellement triste ou si il faisait semblant, si il se souciait réellement d'elle ou si ce n'était qu'une façade. Je me souviens des années où ils étaient séparés, de leurs disputes incessantes sur des sujets sans importance. Deux personnes qui s'aiment ne devraient pas s'entre-déchirer. Peut être Jenny a t-elle raison. Peut être est-il réellement le monstre que tout le monde me dépeint. Peut être que mon optimisme me voile la face. 

Soudain, ses poings se referment sur mes bras. Je prend conscience que je tremble, depuis le début de ma réflexion. Je me force à reprendre contrôle de moi même et rajuste mon sourire. 

— Allez papa, va faire face aux difficultés de la vie! Vole, cours, et nous-venge!

— Ce n'est pas drôle, jeune fille, me gronde t'il, mais sa voix est amusée. 

Ses poings se desserrent et il s'éloigne. Je lui fais un au revoir rapide de la main, avant de pénétrer dans ma maison. 

Je déteste me retrouver seule ici. J'ai l'impression que le fantôme de ma mère est encore là, flottant au dessus de moi. Je n'oublierai jamais la sensation du sang sous mes mains, le frottement rêche de la corde contre mes paumes, le visage bleui du cadavre qui se balançait doucement, pendu dans la cave. Depuis, je n'arrive plus à descendre là bas. L'Endroit. Les policiers qui ont fait une enquête pour connaître la raison du suicide m'ont expliqué, avec des mots incompréhensibles, que le fait qu'elle soit morte pile dans le repaire de mon père n'était sûrement pas une coïncidence. Encore aujourd'hui, des mois après, l'enquête n'avance pas. 

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant