Chapitre 19 - Val

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Le sang coule le long des marches. Dans l'obscurité, on pourrait le confondre avec une nappe de pétrole, mais l'odeur environnante ne trompe pas. C'est bien du liquide sanguin. 

Je ferme les yeux de toutes mes forces, mais quand je les rouvre la scène de crime est toujours là. J'ai beau me forcer à oublier, elle s'imprime sur mes paupières et ne s'en décolle pas. L'horreur ne s'efface jamais, peu importe toute la puissance que tu y mets. Comme j'ai pu l'expérimenter, on oublie plus facilement les souvenirs qui nous réjouissent que ceux qui nous torturent. 

Céline Grondin est étendue par terre, à moitié couchée contre la barrière nous préservant de la chute.  Ses yeux sont grands ouverts, fixent le vide. Sa gorge dégorge des litres de liquide vital sur le sol. Ses habits sont rigides tant le sang les a imprégnés. Son sac-à-dos éventré laisse échapper ses affaires anarchiquement. Parmi les radeaux qui surnagent au milieu du fluide rouge, une copie du journal de Keysha Libel, que je reconnais à sa couverture, attire mon attention. 

Je me file une claque mentale et me force à avancer doucement. Je me saisis d'un mouchoir miraculeusement trouvé dans ma veste pour ne pas laisser de traces et me saisit lentement du fac-similé du journal de Keysha. 

Lorsque j'agrippe ma preuve, une trace plus sombre que les autres manque de me faire lâcher ma preuve. Le dos, dégouttant de sang, conserve encore un message qui commence à lâcher prise:

Méfiez de Ceux qui ont le Pouvoir. 

Et juste à côté, sur le bras rendu mou par la mort de Céline, un tatouage proclame: 

C-M-P Méfiez vous de Ceux qui ont le Pouvoir

Je recule de quelques pas, m'emmêle les pieds, glisse et rate une chute magistrale. Je me rattrape à la dernière seconde à une rambarde. Un ricanement me surprend. Je proteste d'une voix faible:

— C'est pas drôle Jenny! 

Jenny ne bouge pas, ne répond pas. Elle est littéralement tétanisée, incapable de réagir. Ce n'est pas elle qui s'esclaffait. 

Les jambes flageolantes, je tente de rester debout, malgré le choc qui m'envahit peu à peu. Je réussis à tituber jusqu'à elle, toujours à la même place qu'à notre arrivée. Une fois que nous sommes côte à côté, elle me chuchote, très calmement, très doucement:

— Val. Il y a quelqu'un derrière nous. Surtout ne te retourne pas

Évidemment, l'entierté de mon corps pivote dans la direction interdite. Mes nerfs décident à ce moment précis de me lâcher et je m'écroule théatrâlement, emportant Jenny dans ma chute. Mon amie me retient de justesse, me remet prestement sur mes pieds, qui heureusement supportent mon poids, bien que tremblants. 

Et effectivement, il y a bien un individu derrière nous - devant, maintenant. 

Perdu dans l'obscurité environnante, il se tient droit, calmement, comme si se trouver au milieu d'une scène de crime, à 1 h du matin, avec deux gamines terrifiées qui le regardent fixement, était parfaitement normal. Sa posture détachée, relaxée, me rappelle quelqu'un, mais je n'ai pas les idées claires. Impossible de mettre la main sur qui il me rappelle. 

D'ailleurs, il faudrait peut-être filer avant que ce soit lui qui nous mette la main dessus. Car ce n'est absolument pas normal d'être dans un lycée à 1 h du matin, encore moins quand un meurtre vient d'y être commis. 

Sans lâcher l'homme - c'en est un, c'est sûr - du regard, je tire légèrement sur la manche du tee-shirt de Jenny. 

— À trois, on se casse, je lui souffle très bas, tellement bas que moi-même j'ai du mal à m'entendre. 

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant