Chapitre 10 - Jenny

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Le bus file à l'allure d'une tortue vers notre destination. 

Assise sur le siège devant moi - évidemment il ne restait plus de places côte à côte - Val observe le paysage, menton dans le creux de la main et coude posé sur le rebord de la fenêtre. Je ne vois pas vraiment ce qu'il y a de si intéressant, mais si ça lui plaît, c'est tout ce qui compte. 

Dans mes oreilles, Melanie Martinez entame le deuxième couplet de Teacher's Pet. Je fredonne en rythme, balançant ma tête pour marquer la cadence. De temps en temps, les cahots de la route me font manquer une note juste, et la personne assise à ma droite me jette un regard furieux. J'abandonne la chanson et tapote doucement l'épaule de Val. Elle se retourne et demande:

— Oui? Tu as une nouvelle idée?

— Non, je voulais juste savoir ce qu'on va lui dire, à la mère de ta pote. 

— Ah. Je pensais improviser, fait Val en haussant les épaules. 

Évidemment. Je pouvais me douter que le super plan s'arrêtait là. Je dégaine mon téléphone et ouvre un nouvel onglet dans les notes. D'un air entendu, je commence à taper rapidement mes idées. 

—Première chose : lui parler de sa fille, recueillir des informations sur ce qu'elle faisait. 

—Deuxième chose, renchérit Val, s'enquérir de potentiels extraterrestres qui parlaient à Keysha...

—Valencía Perez. Non. 

— D'accord, d'accord! Deuxième chose, donc, lui demander si elle a entendu sa fille parler d'un secret. 

— Troisième chose...

— Troisième chose, ne pas louper l'arrêt! s'exclame Val soudain paniquée. 

En effet, un peu plus et on arrivait deux virages plus haut. Heureusement, une vieille dame assise plus loin a tapé dans ses mains avant, nous garantissant la descente. Sauvées par une vieille, qui l'aurait cru. 

Nous sautons du bus, pressées. En descendant la marche, Val manque de s'étaler par terre. Habituée à ses galipettes non désirées, je la rattrape par le bras afin d'éviter la catastrophe. Elle me remercie d'un sourire et tire sur son col, un tic qu'elle fait après s'être vautrée. 

Elle promène son regard sur le pâté de maisons, avant de s'arrêter sur une grande case en tôle. Elle me la désigne du doigt:

— Je crois que c'est celle là.

— Tu crois ou t'es sûre? Je veux pas cogner chez des inconnus, moi!

— Non non, c'est bien là. Ce sont les coordonnées exactes. 

— Bon. Allons y, alors.

D'un pas décidé, je m'engage dans la petite allée qui mène à la case. Val me suit, les yeux rivés sur son papier de coordonnées. Je suppose qu'elle doit retourner ses questions dans sa tête. 

Nous arrivons finalement devant la porte. Autour de nous, quelques poules et coqs de combat en liberté nous tournent autour, attendant de voir si nous avons des graines. Je me tourne vers Val et demande: 

— Prête? 

Elle opine du chef. Je prends une grande inspiration et cogne à la porte. Le son métallique se réverbère dans tout le quartier. Val semble avoir envie de prendre la fuite. 

Nous n'avons pas à attendre bien longtemps. Quelques secondes après, une dame d'une quarantaine d'années nous ouvre la porte, un air étonné sur son visage fatigué. Ses yeux rouges indiquent qu'elle vient de pleurer. 

Éducation mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant