PROLOGUE

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«La malédiction ne dort jamais affamée»

Proverbe africain

Je vois la lune d'ici. Ronde, pleine, avec sa couleur de miel. Je la trouve si belle. C'est bien la première fois que je prends ainsi le temps de l'admirer. En vérité, je ne peux rien faire d'autre d'où je suis.

Alors, je prends le temps d'observer sa couleur particulière aujourd'hui. Elle a l'air tellement grosse, si proche de moi, que je crois pouvoir la toucher du doigt. Mais je n'ai même pas assez de force pour lever le bras. Elles l'ont brisé.

J'entends aussi les grésillements des infatigables grillons cachés quelque part, là dans l'herbe mouillée. Le bruit s'intensifie dans mes oreilles, sans doute parce que je suis couchée ici. Mais c'est beaucoup mieux que d'entendre leurs voix à toutes, qui me profèrent des insultes. Et c'est mieux que d'entendre le retentissement des coups sur mon corps.

J'ai la peau qui picote de partout, mais de temps à autre la brise du soir vient apaiser cette chaleur au milieu de mes cuisses, sur mes genoux et mes jambes, autour de mes bras. Je sens bien que je suis en train de perdre du sang. Je ne saurais dire d'où exactement. Peut-être des écorchures sur mon front et mes bras, des plaies ouvertes sur mes genoux, ou de mon entrejambe à moitié close. Mon entrejambe ? Alors, cette chose dont maman m'avait parlé, est enfin arrivée. Mais pourquoi aujourd'hui, alors que je suis toute seule ici ?

Je perçois encore dans ma tête l'écho de sa voix. Mon amie reviendra, elle me l'a promis. Elle est allée chercher de l'aide, elle est allée alerter des gens. Et bientôt, elle ramènera du monde. Ils seront horrifiés, auront sûrement pitié mais ils m'aideront, hein ? Ils ne pourraient pas me laisser ici, au beau milieu de la nuit, le corps endolori, n'est-ce pas ?

Et je ne peux même pas bouger d'ici. Mes jambes sont comme paralysées, ça doit être à cause du fouet. Mes bras sont trop éraflés, parce que j'ai couru en me frottant de tous les côtés. Mon front est boursouflé, je suis tombée. Et mes joues sont violacées, elles m'ont giflé. J'ai froid, puisque pour mieux me frapper, elles m'ont presque dévêtu.

Je vois la lune d'ici. Mais de moins en moins bien. Ne serait-ce pas un nuage qui est en train de la recouvrir ? Ou est-ce mes yeux qui s'affaiblissent ? Mes paupières s'agitent de plus en plus lentement. Et la lune perd de sa couleur et de sa forme. Elle se tord, se déforme.

Je ne vois plus la lune. Je ne vois plus rien d'ailleurs. Tout est noir à présent. Mais je l'attends toujours. Il ne faut pas que je m'endorme, que je sombre, parce que la douleur est trop forte. J'ai peur de fermer les yeux, peur que la mort qui rôde autour de moi, en profite pour m'emporter dans les cieux.

Elle reviendra, je n'en doute pas. Mon appel lui est parvenu. Elle seule m'a reconnu dans cette obscurité, qui diminue toute faculté. Elle reviendra, je le sais. Elle reviendra parce qu'elle m'en a fait la promesse.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant