CHAPITRE VII : NE M'ABANDONNE PAS

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- Mona, Mona, réveille-toi !

Ce n'est pas une voix masculine, rendue pour mon réveil moins grave et plus douce, que j'entends. Ce n'est pas l'eau de toilette pour homme que portait Um sur son cou, sur ses aisselles et ses poignets que je sens. Ce n'est plus près de mon ami d'enfance que je me trouve à présent. Mes yeux ne se sont pas encore ouverts, mais mon siège me semble plus confortable que les chaises en plastique louées pour la cérémonie et installées sous les bâches.

En ouvrant timidement les yeux, j'aperçois un visage fatigué et dépourvu de maquillage. Miriam n'a plus le regard vif, la mine fraîche de la nuit dernière. Elle ouvre sur moi de grands yeux, qui me paraissent sur le coup presque innocents. Mais je sais aussi que ces mêmes yeux en une seconde peuvent se figer et devenir interrogateurs, terrifiants ou moqueurs.

Ces yeux, ma sœur en a usé tant de fois plus jeune pour séduire, envoûter, effrayer ou influencer. Et à chaque fois, elle réussissait. Mais avec le temps, cette emprise qu'elle avait sur le monde s'est affaibli. Ma sœur a grandi, mûri et surtout appris que la beauté ouvrirait des portes, mais pas toutes. Et qu'il existe des gens qu'un corps de femme n'impressionne plus.

Malgré cette leçon durement retenue, il m'arrive encore d'entrevoir dans ce regard fardé de couleurs que me lance souvent ma sœur, dans son sourire particulier qui fait ressortir sa fine bouche rouge, dans son jeu de sourcils, dans le creux de cette fossette qui se dévoile au moindre sourire, les traces de l'autre Miriam.

Les traces d'une adolescente trop belle pour ne pas en devenir superficielle, enviée des filles, désirée des garçons, qui tentait de dominer sa petite sœur plus qu'elle ne pouvait dominer ses propres hormones. Je marmonne en fronçant les sourcils quelque chose que Miriam ne doit pas avoir compris, avant de me lever du fauteuil dans lequel je me suis effectivement endormie.

Mon pied manque de faire tomber un verre rempli de Coca-Cola posé à mes pieds. Ce verre, je ne crois pas me l'être servie. Mes yeux examinent vaguement le salon rempli d'invités assoupis ça et là sur les canapés, sur la moquette et les matelas posés à même le sol. Je pense déjà au grand ménage que ma mère organisera après ce long deuil, car comme en témoigne notre maison, la veillée aura été plus festive que funèbre. C'était ce qu'aurait voulu ma grand-mère, vu son caractère.

C'est au moment où ma sœur me tourne le dos, déjà convaincue de ce que je suis réveillée, que je remarque le vêtement qu'elle porte. C'est une robe cousue avec le pagne du deuil, le tissu choisi par ma famille en l'honneur de la défunte et que les invités se doivent d'arborer au moment de l'enterrement. Le port de ce pagne représente une sorte de coutume dans mon pays, à tel point qu'à chaque deuil correspond un pagne. Pour que le défunt conserve à jamais une place, dans notre esprit et dans notre penderie.

Mais si ma sœur porte maintenant ce tissu, cela signifie qu'il est donc l'heure de te mettre en terre Mamie. Il est l'heure d'enfermer le corps que tu as habité toute ta vie dans un coffre de bois, puis de poser ce coffre dans un trou au fond de la terre. Il est l'heure de t'inhumer près de cet homme qui t'a aimé en retard, près de ses ancêtres à lui, dans le village où tu avais accepté de le suivre. C'est donc pour cela que je ne vois plus ton cercueil, posé au centre du salon il y a encore quelques heures, pour que les gens qui t'aiment fassent la ronde autour de lui. C'est l'heure Mamie.

Je me lève avec peine de mon fauteuil, en faisant attention à ne pas réveiller ceux qui sont autour de moi épuisés, et dont la présence ne sera pas exigée pour cet enterrement dans la stricte intimité. Je me dirige vers le couloir qui mène aux chambres et constate que les ampoules y sont toutes allumées. Tout le monde se prépare donc à enfiler l'uniforme en pagne, dont les couleurs rappelleront ta mort, ton deuil, mais aussi ta vie Mamie.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant