CHAPITRE II : RETROUVAILLES

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À une certaine époque, il m'aurait été impossible de parler de «ma» chambre, en parlant de la pièce dans laquelle je me trouve actuellement. Car elle n'appartenait pas qu'à moi seule et a longtemps été «notre chambre» à ma sœur et à moi. Mais lorsque trois ans avant mon départ de la maison, je m'y suis retrouvée seule, tout a changé.

Aujourd'hui, je m'attendais à trouver sur les murs jaune crémeux quelques toiles d'araignée. À être agressée dès mon entrée par l'odeur que seule une chambre close depuis très longtemps pourrait avoir. C'est sans ignorer ma mère et sa manie du ménage.

Il n'y aucune toile d'araignée. Les fenêtres sont dépoussiérées. Le matelas est recouvert de draps frais. La chambre a été aérée. C'est bien la preuve que l'on continue à prendre soin de temps à autre de cet endroit, où plus personne ne demeure. Je pose mes valises près de la penderie en bois ciré qui occupe l'un des quatre murs de la pièce.

Je me retourne et attarde mon regard sur la seule photographie qui orne la surface murale de ma chambre. Dans un cadre de verre rayé par le temps, apparaît une photo de Mamie Mado, qui me porte sur ses jambes. Cette photographie date de l'époque où un petit studio photo avait ouvert non loin de notre maison. Ma grand-mère nous y avait accompagné ma sœur, mon frère et moi, lors d'une des nombreuses sorties qu'elle nous offrait, lorsqu'elle était de passage à Douala.

J'avais alors insisté pour prendre cette photo, rien qu'avec elle.Vêtue d'une robette carrelée, les cheveux nattés en un chignon au milieu du crâne, je souriais de toutes mes dents, pas encore au complet à l'époque. De ses bras, Mamie Mado entourait ma taille et souriait elle aussi en inclinant la tête, pour ne pas se laisser cacher par la mienne.

Je m'étais promise que ça n'arriverait pas. Je m'étais promise que je ne pleurerais pas. Mais non, en regardant cette pellicule dans son petit cadre de verre, c'est plus fort que moi. Je sens mes narines picoter, ma vue se flouer. Cependant, je commence à avoir l'impression d'être observée. Je tourne les yeux et aperçois mon père au seuil de ma chambre.

- Il faudra bien garder cette photo à présent, débute t-il en s'avançant vers moi.

Je souris à mon géniteur. Nous nous regardons tendrement pendant quelques instants. Mais personne n'ose faire le premier pas. Personne n'ose engager un contact. Peut-être est-ce la pudeur qui l'oblige ? Ou tout simplement notre relation si bonne et pourtant si distante. J'essuie d'un trait les larmes naissantes sur mes joues.

Nous échangeons pendant un court instant. Il me pose les questions habituelles concernant ma santé, les études, le climat à Angers, mais jamais concernant Kanza. C'est un peu l'individu-tabou entre nous. L'autre homme avec lequel il partage cette fille, qu'il possède déjà si peu. Je ne lui en veux pas. Puis, il me parle enfin d'elle, mais de manière brève. Suffisamment brève pour que je comprenne. J'ai d'abord craint qu'il évite aussi ce sujet.

- Elle est à la morgue, même si elle n'aurait jamais voulu ça... Tu as reçu le programme, nous prendrons la route demain.

- Bien sûr...

Je réponds ainsi parce que ce sont les deux uniques mots qui me sont venus à l'esprit. Mon père s'éclipse aussi silencieusement que lorsqu'il est arrivé. Le message est passé. Subitement, je pense à l'autre homme de la maison, plus jeune, plus drôle, plus bavard. C'est mon frère Mandela. Je connais encore la direction de sa chambre, juste en face de la mienne.

Sur la porte toujours fermée, je reconnais le visage tracé à l'encre d'un de ces personnages de bandes-dessinées japonaises dont mon frère raffole tant. C'est un personnage de mangas. Je toque trois fois, espaçant un peu plus mes coups à chaque fois. C'est le code. Mandela m'ouvre tout sourire.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant