Les tabourets de bambou ne sont pas tout ce qu'il y a de plus confortable pour un tête-à-tête. Ils sont plutôt bas. Et il ne faut pas trop se pencher, au risque de tomber. Heureusement, nous devenons vite absentes à notre l'environnement. Je n'entends bientôt plus le vent souffler, faire bouger les feuilles d'arbres. Je ne vois pas les étoiles disparaître l'une après l'autre dans le ciel au fur et à mesure que la nuit avance. Il n'y a plus que Mahsa et sa voix grave dans la nuit.
- Si tu savais le nombre de fois que j'ai imaginé cette soirée. Je me suis imaginée en face de toi. Pour être honnête, durant les premières années après cette nuit-là, j'imaginais que je te sauterais dessus et t'arracherais la peau avec mes dents dès que je te verrais.
Un long frisson me parcourut le corps tout entier. Et le froid n'y était pour rien. Mahsa avait parlé de m'arracher la peau tout en soutenant mon regard à travers les flammes. Elle n'avait peur de rien.
- Puis, quand j'ai atteint mes dix-huit ans, je me suis imaginée te rencontrer et te remettre à ta place. À vingt ans, je voulais porter plainte. À vingt-trois ans aujourd'hui, je veux juste te parler.
«La vie m'a aidé à surmonter mon mal. J'ai appris à expulser ma douleur chaque année de ma vie après cette nuit, dans la peinture, la sculpture, la préparation minutieuse de remèdes, le jardinage. Et je crois que si je peux me tenir en face de toi ce soir, c'est parce qu'il ne reste que des débris de la haine que je te portais autrefois. Une haine que tu ne méritais pas, je le sais à présent.»
Je croyais rêver. Les propos de Mahsa m'entraient par une oreille et ressortaient entiers par l'autre. Ce qu'elle disait n'avait pas de sens pour moi. Je méritais toute la haine du monde et bien plus encore, pour avoir abandonné à son sort une enfant de treize agonisant dans la brousse. La loi m'aurait condamné pour non-assistance à personne en danger. Et ma conscience m'avait déjà sévèrement jugé.
Toute ma vie, je m'étais punie de cette erreur. J'avais arrêté la course de vitesse que j'adorais. J'avais abandoné les médailles, les trophées, les podiums, les entraînements pour me renfermer dans des livres, bien que des années plus tard, ma silhouette svelte continue de me trahir. Je n'avais plus remis les pieds dans mon village, en craignant d'y être frappée par mes ancêtres.
Et Mahsa avait habité mon inconscient, était remontée jusque dans mes rêves la nuit. Elle était devenue ma terreur, le monstre caché dans mon placard entrouvert, l'ombre derrière ma fenêtre, le bruit dans le plafond. On commet beaucoup de fautes dans une vie, on fait du mal qu'on oublie. Pourtant, il y a ces petites erreurs que l'on fait et que l'on ne parvient jamais à se pardonner. Même si on fera peut-être bien pire à l'avenir, ce péché-là ne nous quitte plus.
- Que je ne méritais pas ? Mahsa, je mérite toute la haine du monde. Ce que je t'ai fait est impardonnable. Tu aurais pu mourir. Je me suis souvent demandée si ça n'était pas le cas d'ailleurs. J'aurais dû t'aider !
- Comment ? Rien ne t'y obligeait ma chère amie, me sourit-elle d'un air tellement paisible que j'en avais peur. Tu étais aussi jeune et naïve que moi à l'époque. Je me dis souvent que si nos naissances avaient été inversées, tu aurais pu te retrouver dans ce taillis, et moi aussi j'aurais pu fuir sans jamais revenir.
- L'acte reste condamnable !
- Mais ce n'est pas à toi d'écoper de la peine, puisque ce n'est pas toi le coupable.
- J'étais une témoin et je me suis tue, persistai-je en détournant la tête. C'est pareil. Je suis coupable.
Mon ton était catégorique. Je commençais à ressentir du bien dans le fait de me culpabiliser ainsi. C'est étrange, mais reconnaître si vite ses torts, c'est une manière subtile de s'innocenter. M'inculper m'aidait à me sentir moins fautive. Je regardais maintenant le paysage. La maison étant construite sur une colline, de telle sorte que nous avions une vue imprenable sur le village tout entier. Les arbres se balançaient dans la nuit au gré du vent comme des spectres menaçants.
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Le Masque Ensanglanté
Mystery / Thriller«Grand-mère est morte, il faut que tu rentres.» Il n'a pas fallu en entendre plus pour que Mona Lisa fasse ses valises et se décide à rentrer au terroir, après trois années passées sur le Vieux Continent. Le Cameroun qu'elle retrouve à son arrivé...