CHAPITRE XIII : À L'AIDE

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   La moto me déposa sur le trottoir d'un carrefour bondé du centre-ville. Je descendis et payai le chauffeur dont seul le visage ressortait du gros tas de laine qui lui servait de pull. Il était couvert du cou aux orteils, et je n'aurais su dire si c'était pour se protéger du froid permanent de la ville, ou du soleil accablant qui brillait ce matin-là.

   Il me sourit lorsque je déposai un billet clinquant de deux mille francs dans sa paume de main gantée. Mais cette somme valait bien le trajet. Son dû encaissé, il redémarra sa moto et se méla aux autres motos-taxis qui circulaient à deux sens sur la route. Et je restai plantée là, à regarder son gilet fluo se confondre à ceux des autres.

   Je rouvris mon ombrelle et reculai un peu du trottoir, afin de ne pas barrer le passage. Je voulais être certaine de ne pas me faire bousculer lorsque j'appellerai Um pour l'informer de ma présence en ville. Ça sonna longtemps au bout du fil, sans que je n'entende au terme de la publicité sonore de l'opérateur de téléphonie mobile, sa voix rauque me disant «Allô». Je réessayai sans réponse et décidai finalement de lui laisser des messages sur WhatsApp, en espérant qu'il se reconnecte au plus vite.

   En attendant de pouvoir le joindre, je ne pouvais bouger d'où je me trouvais, au risque de m'égarer complètement. Ce carrefour était mon seul repère. C'était peinant à dire mais je ne connaissais que très peu cette ville. Ma ville d'origine. Ma légère anxiété m'empêcha de pressentir une main qui de derrière me tapota vivement l'épaule.

— Vous êtes à l'entrée d'un commerce !

Je me retournai en sursaut sur une jeune femme dont le tablier rougeâtre épousait la silhouette fine. Elle avait l'air si petite avec ses cheveux défrisés et lissés en arrière, ses clavicules saillantes, dans sa chemise et son jean noir moulant. Je me demandai comment de si petites mains pouvaient vous toucher avec autant de force.

— Pardon, je ne savais pas, bafouillai-je en resserrant l'étreinte autour de la manche de mon sac.

   En décalant légèrement sur le côté, je remarquai alors derrière la serveuse l'imposante façade d'un bar. On pouvait lire sur l'enseigne “Alt Los Dschangeles”. Je gloussai en pensant à tous les noms originaux que pouvaient porter les bars par ici. Bon Appétit, Los Dschangeles.

   Des éclats de rire et des discussions enjouées autour de la dernière performance de l'équipe nationale de football créaient autour de l'établissement une ambiance bonne enfant. Ça sentait la sauce d'arachide grillé à plein nez, et sur un petit tableau noir pendant à l'entrée du bar, on pouvait lire le menu du jour assez chargé, sur lequel ce plat figurait.

   La terrasse du bar ombragée par une grande bâche me sembla suffisamment accueillante pour que je me décide à gravir les trois marches en bois. Je choisis la seule table encore inoccupée, tout près de la rambarde et tournée vers la rue. Puis, je commandai une bouteille de Coca-Cola, en espérant que la serveuse décolle de moi son regard lourd et appuyé.

   Comme par réflexe, je nettoyai ma chaise en plastique avec avec un mouchoir en papier qui jaunit après utilisation. Je me retins de le jeter. C'était une vieille habitude. Dans le pays où j'avais vécu ces dernières années, l'écologie se prenait au sérieux. Bien plus qu'en Afrique où les moyens plus que la volonté d'être écologiste nous manquaient.

   C'est en prenant place que je m'autorisai pour la première fois depuis mon arrivée, à observer le paysage qui m'entourait. La terrasse du bar donnait une certaine hauteur et permettait d'observer mieux les activités du carrefour. Les magasins débordant de marchandises, de vivres frais ou secs, de produits manufacturés, où les clients se succédaient. Les rues sans cesse empruntées par les piétons et par les véhicules qui laissent derrière eux un gros nuage de poussière qui continue à flotter dans les airs quelques minutes. Et de la poussière ici, il y en a jusqu'au pas des portes.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant